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Page:Dickens - Bleak-House, tome premier.pdf/219

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— Allons, reprit en souriant mistress Badger, puisqu’il le faut, je répéterai : quoique jeune encore, chères demoiselles, j’ai eu l’occasion d’observer beaucoup de jeunes gens. Ils étaient très-nombreux à bord de ce cher vieux Crippler, d’heureuse mémoire ; et, quand j’allai dans la Méditerranée, avec le capitaine, je me fis un plaisir de profiter des moindres circonstances pour accueillir les contre-maîtres et les traiter en amis. Vous n’avez pas connu leur manière de vivre, très-chères, et vous ne comprendriez pas les allusions que l’on pourrait faire à propos du blanchiment de leurs comptes de semaine ; pour moi, c’est différent ; car l’eau salée était ma seconde patrie. J’étais à cette époque un véritable marin. De même avec le professeur Dingo.

— D’une réputation européenne, murmura M. Badger.

— Quand, après avoir perdu mon premier, j’eus épousé mon second, reprit mistress Badger, parlant du capitaine et du professeur, comme si c’étaient les deux premiers termes d’une charade, j’eus encore mainte occasion d’observer la jeunesse. Le cours du professeur Dingo était suivi par un nombre considérable d’étudiants ; et je tins à honneur, comme femme d’un savant illustre, cherchant elle-même dans la science la consolation infinie qu’elle peut donner, d’ouvrir ma maison aux jeunes disciples du professeur. Tous les mardis soir, il y avait chez moi de la limonade, un biscuit pour chacun de ceux qui voulaient venir, et l’on y faisait de la science sur la plus vaste échelle.

— Réunions bien remarquables, miss Summerson, dit M. Badger avec un profond respect. Quels résultats n’a pas dû produire cette émulation, cette espèce de frottement moral sous les auspices d’un tel homme !

— Et à présent que je suis la femme de mon troisième, reprit mistress Badger, je poursuis le cours de mes observations, et voilà pourquoi j’ai pu me former sur M. Carstone un jugement qui n’a rien de prématuré : mon opinion bien arrêtée, mes très-chères, est qu’il n’a pas choisi la profession qui lui convenait. »

Je demandai à mistress Badger sur quoi elle fondait cette opinion.

«  Sur le caractère et la conduite de M. Carstone, répondit-elle. Probablement il ne se donne pas la peine d’analyser ce qu’il éprouve ; mais il apporte de la tiédeur dans ses études. Il ne ressent pas cet intérêt puissant qui témoigne d’une vocation réelle ; et, si la science médicale lui inspire quelque chose, je crois pouvoir dire que c’est de la fatigue et de l’ennui. Tout cela ne promet pas de grands succès. Il est possible à certains jeunes gens qui s’attachent à la médecine avec une volonté ferme, une ardeur sou-