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Page:Dickens - Bleak-House, tome premier.pdf/229

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ne doutait pas que son fils Allan ne se souvînt de sa généalogie, en quelque lieu qu’il fût, et ne repoussât toute alliance qui serait indigne de lui. » S’adressant alors à son fils, elle lui dit qu’il ne manquait pas dans les Indes de jeunes Anglaises qui s’y étaient rendues pour spéculer sur leurs charmes ; que, parmi elles, on pouvait en trouver qui joignissent la fortune à la beauté, mais que, pour le descendant d’une aussi noble race, ni la beauté ni la fortune n’étaient rien sans la naissance, qui devait passer en première ligne ; elle parla si longtemps sur ce sujet, que je crus un instant, et cela me fit de la peine, que… mais quelle folie de supposer qu’elle connaissait mon origine et qu’elle en eût le moindre souci !

M. Woodcourt paraissait un peu contrarié de la prolixité de sa mère ; toutefois il avait pour elle trop de respect pour le lui témoigner, et s’efforça délicatement de rendre la conversation générale en exprimant sa gratitude à M. Jarndyce pour l’accueil qu’il avait reçu chez lui, et pour les heureux moments qu’il y avait passés. « Le souvenir que j’en conserve, dit-il, me suivra partout, croyez-le bien, et restera toujours gravé au fond de mon cœur. » Nous lui serrâmes la main les uns après les autres ; il posa ses lèvres sur la main d’Éva… puis sur la mienne ; et partit pour ce voyage qui devait durer si longtemps ! si longtemps !

Je fus très-occupée tout le reste de la journée ; j’écrivis à Bleak-House pour y donner des ordres ; mon tuteur me chargea de répondre pour lui à plusieurs lettres ; j’époussetai ses livres, ses papiers, je me donnai beaucoup de mouvement, et jamais mon trousseau de clefs n’avait tinté davantage ; le jour allait finir, et j’étais assise près de la fenêtre où je travaillais avec ardeur en chantant quelque vieux refrain, quand je vis entrer Caroline Jellyby, que j’étais bien loin d’attendre. Elle tenait à la main un délicieux bouquet.

«  Oh ! les charmantes fleurs ! m’écriai-je.

— Oui, répondit Caroline, je n’en ai jamais vu d’aussi jolies.

— C’est de Prince ? lui dis-je tout bas.

— Non, répliqua-t-elle en secouant la tête et en me faisant sentir le bouquet.

— Alors, chère Caroline, vous avez un second adorateur.

— Vraiment ? ce bouquet ressemble-t-il à un présent d’amoureux ! »

Je lui pinçai la joue ; elle se prit à rire et me dit qu’elle était venue nous voir en attendant Prince, qui, dans une demi-heure, se trouverait au coin de la rue ; elle s’assit auprès de la fenêtre