— Il dit que c’est un schelling et huit pence, et qu’il les veut, ou qu’il va vous citer devant le juge, » répond Guster.
Mme Snagsby et Mme Chadband expriment d’une voix aiguë toute leur indignation ; M. Chadband lève la main et le tumulte s’apaise.
« Mes amis, dit-il, je me rappelle un devoir qu’hier j’ai oublié de remplir ; il est juste que j’en subisse le châtiment, et je ne dois pas murmurer : donnez les huit pence, Rachaël. »
Mme Chadband compte huit pence à Guster ; pendant ce temps-là Mme Snagsby respire longuement et regarde M. Snagsby, comme pour lui dire : « Quel apôtre ! » Quant à M. Chadband, il a le visage rayonnant d’humilité et d’huile de baleine. C’est l’une de ses habitudes, on pourrait dire l’une de ses prétentions, d’avoir toujours à équilibrer un compte de cette espèce, et de l’afficher volontiers en public à propos des circonstances les plus vulgaires.
« Mes amis, reprend-il, c’est une faible somme que huit pence ; on aurait pu, tout aussi bien, me demander un schelling et quatre pence ; on aurait pu tout aussi bien me demander une demi-couronne ; réjouissons-nous ! réjouissons-nous ! »
En disant ces paroles, M. Chadband se dirige vers la table, et avant de s’asseoir, lève sa main pour réclamer l’attention :
— Que voyons-nous sur cette table ? dit-il ; des rafraîchissements nombreux. Avons-nous donc besoin de nous rafraîchir, mes amis ? Assurément, direz-vous. Et pourquoi ce besoin ? vous demanderai-je. Parce que nous sommes mortels ; parce que nous sommes conçus dans le péché ; parce que nous appartenons à la terre ; parce que nous ne sommes pas fils de l’air. Pouvons-nous voler, mes amis ? Non, c’est impossible ; et pourquoi ne pouvons-nous pas voler ? »
M. Snagsby, encouragé par le succès qu’a rencontré son amen, risque, d’un air tant soit peu satisfait et connaisseur, « parce que nous n’avons pas d’ailes ; » mais le regard de sa petite femme le fait taire immédiatement.
« Je demande, poursuit l’homme du saint ministère sans faire la moindre attention à la remarque de M. Snagsby, je demande pourquoi nous ne pouvons pas voler. C’est parce que nous sommes faits pour marcher. Maintenant, mes amis, pouvons-nous marcher sans être forts ? Non, nous ne pouvons rien sans la force. Nos jambes refuseraient de nous porter ; nos genoux fléchiraient, nos chevilles se retourneraient, et nous tomberions avant d’avoir fait un seul pas. D’où vient donc cette force qui est nécessaire à nos membres ? d’où la tirons-nous ici-bas, mes