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moi-même, chère Esther ; je suis bien malheureux de n’avoir pas plus de persistance ; mais comment en aurais-je ? Si vous habitiez une maison qui n’est pas terminée, vous ne pourriez pas vous y fixer ; encore moins vous appliquer à une chose si vous étiez condamnée à l’abandonner avant qu’elle fût finie, et c’est là ma position. Je suis né au milieu des alternatives de ce procès qui a commencé à me rendre irrésolu avant que j’aie su la différence qui existe entre une robe de femme et celle d’un avocat ; et cette irrésolution n’a fait qu’augmenter avec les hasards de la cause. Parfois je me trouve un grand misérable d’oser aimer cette chère Éva, si confiante et si pure. »

Nous étions dans un endroit solitaire, et il se mit à sangloter en disant ces paroles.

« Ne vous laissez pas abattre ainsi, lui dis-je ; vous avez une noble nature, et l’amour d’Éva ne peut que vous rendre meilleur et vous élever davantage.

— Je le sais, chère Esther, répondit-il. Je suis ému parce qu’il y a longtemps que j’avais tout cela sur le cœur ; n’y faites pas attention ; je voulais toujours vous parler, mais je n’en trouvais pas l’occasion ou parfois je n’en avais pas la force. Je sais tout ce que la pensée d’Éva devrait être pour moi, et je n’en suis pas plus ferme pour cela. J’aime ma cousine avec passion, et je manque à tous mes devoirs envers elle en ne faisant pas ce que je dois faire. Mais cela ne peut pas durer, nous obtiendrons enfin justice ; vous verrez alors ce que je suis réellement et ce que je ferai pour Éva. »

J’avais eu le cœur vivement serré en entendant ses sanglots et en voyant ses larmes ; je fus encore plus péniblement affectée par l’animation qu’il avait mise dans ces dernières paroles.

«  J’ai examiné soigneusement tous les dossiers, continua-t-il en retrouvant tout à coup sa gaieté ; pendant plusieurs mois je n’ai pas fait autre chose, et vous pouvez compter que nous triompherons un jour ; plus la conclusion s’est fait attendre, plus il est probable que nous touchons au jugement définitif ; la cause est appelée de nouveau, on s’en occupe maintenant ; tout s’arrangera et vous verrez alors !

— Quand avez-vous l’intention de passer votre contrat avec Kenge et Carboy ? lui demandai-je.

— Mais je n’en ai pas du tout l’intention, répondit-il en faisant un effort sur lui-même ; je suis rassasié de procédure. Cette affaire Jarndyce, en me faisant travailler comme un galérien, n’a pas seulement calmé mon ardeur pour la jurisprudence, elle m’a encore prouvé que je n’avais aucun goût pour le droit ; et