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Page:Dickens - Bleak-House, tome premier.pdf/394

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sionomie pleine de vivacité, ni ses traits, fort bien encore malgré son âge, qui me déconcertaient ainsi. Je ne puis pas dire ce qui me troublait si fort en elle ; du moins, si je le sais à présent, je l’ignorais alors ; mais peu importe.

Le soir, au moment de nous coucher, elle me priait d’entrer dans sa chambre, et, s’asseyant dans un grand fauteuil auprès du feu, elle se mettait à me parler de Morgan-Ap-Kerrig jusqu’à ce que mes forces complétement épuisées ne me permissent plus de l’entendre. Elle me récitait des passages entiers de Crumlinwallinwer et du Mewlinnwillinwodd (il est probable que j’écorche ces noms illustres), et s’enflammait d’une noble ardeur en déclamant ces beaux vers que je ne pouvais comprendre, car ils étaient en gallois ; je savais seulement qu’ils faisaient un pompeux éloge de la lignée de Morgan-Ap-Kerrig.

« Voilà, me disait-elle d’un air triomphant, l’héritage de mon fils ; en quelque lieu qu’il soit, il peut se vanter d’appartenir à la race d’Ap-Kerrig. Il peut être pauvre ; mais il a ce qui vaut mieux que la fortune, c’est-à-dire la naissance. »

Je n’étais pas sûre qu’en Chine ou aux Indes on se souciât beaucoup de Morgan-Ap-Kerrig ; je me gardais bien toutefois d’exprimer un pareil doute, et je répondais que c’était une belle chose que d’avoir une si noble origine.

«  Certainement, répliquait mistress Woodcourt ; mais cet immense avantage a ses inconvénients ; par exemple, celui d’imposer des limites fort restreintes au choix que mon fils devra faire d’une épouse ; il est vrai que le même motif impose la même contrainte aux membres de la famille royale. »

Et me frappant légèrement sur le bras, elle caressait ma manche comme pour m’assurer de la bonne opinion qu’elle avait de moi, en dépit de la distance qui existait entre nous.

«  Ce pauvre M. Woodcourt, me disait-elle encore d’une voix émue, car, au bout du compte, elle avait un cœur affectueux en dépit de ses prétentions généalogiques, ce pauvre M. Woodcourt descendait d’une grande famille highlandaise, les Mac Coorts de Mac Coort ; il servit son pays et son roi en qualité d’officier dans le Royal-Highlanders et mourut glorieusement au champ d’honneur. Mon fils est le dernier représentant de ces deux anciennes familles, qu’avec l’aide de Dieu il relèvera, je n’en doute pas, en épousant la descendante d’une race non moins ancienne. »

J’essayais vainement de changer de conversation ; j’employais tous les moyens possibles ; par besoin de variété, peut-être aussi… mais à quoi bon entrer dans ces détails. Mistress Woodcourt n’en restait pas moins fidèle à son sujet.