Page:Dickens - Bleak-House, tome premier.pdf/397

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plus opposées : tantôt, je la prenais pour une femme qui voulait m’en imposer ; tantôt pour un miroir de vérité ; quelquefois elle me semblait pleine de ruse, et, l’instant d’après, j’avais la plus entière confiance en la droiture et la simplicité de son cœur. Après tout, qu’est-ce que tout cela me faisait ? Pourquoi n’allais-je pas tranquillement causer avec elle au coin de son feu, mes clefs dans mon panier, mon panier à mon bras, comme je l’aurais fait avec une autre, au lieu de m’inquiéter de ses paroles assurément fort innocentes ? J’étais attirée vers elle par une secrète influence, je désirais qu’elle m’aimât, j’étais heureuse de lui plaire ; pourquoi dès lors attacher un sentiment pénible à chaque mot qu’elle me disait ? pourquoi le peser vingt fois dans mon esprit, quelque insignifiant qu’il pût être, et souffrir d’avoir à écouter les confidences qu’elle me faisait chaque soir ; il y avait dans tout cela des contradictions perpétuelles que je ne pouvais comprendre ; ou si parfois… mais j’y reviendrai à l’occasion, il est fort inutile d’en parler à présent.

J’étais à la fois triste du départ de mistress Woodcourt et délivrée d’un grand poids depuis qu’elle avait quitté Bleak-House, lorsque l’arrivée de Caroline vint me distraire de mes préoccupations.

Elle déclara d’abord que j’étais la meilleure conseillère qui eût jamais existé ; ce à quoi Mignonne répondit que ce n’était pas une nouvelle, et moi que c’était une plaisanterie. Elle ajouta qu’elle se mariait dans trois semaines et qu’elle serait la plus heureuse du monde si nous consentions à être ses filles d’honneur. Voilà bien du nouveau ; aussi je crus un instant que nous ne finirions jamais de causer, tant nous avions de choses à nous dire.

Il paraît que la banqueroute de M. Jellyby s’était arrangée à l’amiable ; que ses créanciers avaient eu pitié de lui, et qu’après leur avoir abandonné tout ce qu’il avait (peu de chose, à en juger d’après l’état de son mobilier), il était sorti de ses affaires sans être parvenu à les comprendre ; mais, en laissant à chaque intéressé l’intime conviction qu’il avait fait tout ce qui était en son pouvoir ; il fut donc renvoyé honorablement à son bureau pour recommencer une nouvelle carrière. Que faisait-il à ce bureau ? je n’ai jamais pu le savoir ; Caroline prétendait qu’il était directeur de quelque chose à la douane ; et tout ce que je vis clairement dans cette affaire, c’est que, quand il avait besoin d’un peu plus d’argent que d’habitude, il allait aux docks pour tâcher de s’en procurer, et n’en trouvait presque jamais.

Dès qu’il se fut tranquillisé l’esprit en se dépouillant complé-