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BLEAK-HOUSE

que je regardais le feu, et me dit que j’étais une créature douce et tendre et que j’avais gagné son cœur.

« Vous êtes à la fois si réfléchie et si gaie, ajouta-t-elle, vous faites tant et si bien, et tout cela vous est si naturel. »

Simple et chère mignonne, c’était dans son cœur qu’elle trouvait la bonté dont elle me parait à ses yeux.

« Puis-je vous faire une question ? lui demandai-je.

— Mille, si vous voulez.

— Voulez-vous me parler de votre cousin, M. Jarndyce, auquel j’ai tant d’obligations, et me dire comment il est ? »

Elle rejeta ses beaux cheveux en arrière et tourna vers moi des yeux à la fois si étonnés et si fins, que je restai surprise à mon tour et de son étonnement et de sa beauté.

« Que je vous dépeigne mon cousin Jarndyce !

— Eh bien ! oui, pourquoi pas ?

— Mais je ne l’ai jamais vu.

— Malgré votre parenté ?

— Mon Dieu non. »

Toutefois elle se rappelait, si jeune qu’elle fût alors, que les larmes venaient aux yeux de sa mère quand elle parlait de la noblesse et de la générosité du caractère de cet excellent homme, en qui, disait-elle, on pouvait avoir confiance plus qu’en personne au monde. Aussi miss Clare se fiait entièrement à son cousin Jarndyce, qui lui avait écrit quelques mois auparavant une lettre simple et franche, où il lui proposait l’arrangement que nous allions effectuer ; lui disant, en outre, qu’il espérait, avec le temps, guérir quelques-uns des maux qu’avait fait naître ce misérable procès. Elle avait accepté avec reconnaissance. Richard, qui avait reçu la même lettre et fait la même réponse, se rappelait avoir vu M. Jarndyce une fois seulement au collège de Winchester, où il était alors ; il y avait de cela cinq ans. Ses souvenirs le lui représentaient comme un homme franc, robuste, un peu gros. Éva n’en savait pas plus long.

Elle s’endormit ; je restai près du feu, songeant à Bleak-House, et m’étonnant que le matin fût si long à revenir. Je ne sais plus où s’égaraient mes pensées, quand un léger coup frappé à la porte vint me rappeler à moi-même. J’ouvris doucement, c’était miss Jellyby, toute transie, tenant d’une main un chandelier cassé où coulait une chandelle brisée, et de l’autre un coquetier.

« Bonsoir, dit-elle d’un air maussade.

— Bonsoir, dis-je à mon tour.

— Peut-on entrer ? demanda-t-elle brusquement.