Aller au contenu

Page:Dickens - Bleak-House, tome premier.pdf/71

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
65
BLEAK-HOUSE

mon inaptitude aux affaires, quand elle a de si agréables conséquences ? »

De tout ce qu’il avait dit jusqu’alors, rien ne sembla plaire davantage à M. Jarndyce que ces dernières paroles ; et je me suis demandé bien des fois comment un homme qui se montrait si reconnaissant du bien qu’on lui donnait l’occasion de faire pouvait éprouver un si vif désir d’échapper à la gratitude qu’il faisait naître chez les autres.

Nous étions ravis de M. Skimpole, et j’attribuai aux qualités attrayantes de mes nouveaux amis l’abandon avec lequel cet esprit aimable se livrait sans réserve à des êtres qu’il ne connaissait pas. Éva et surtout Richard en paraissaient vivement touchés, et considéraient comme un rare privilège la confiance que leur témoignait cet homme séduisant. Plus nous l’écoutions, plus M. Skimpole montrait de verve et de gaieté ; plus il semblait nous dire par ses manières enjouées, sa grâce légère, sa franchise en parlant de ses faiblesses, son rire plein d’insouciance : « Je ne suis qu’un enfant, vous le savez ; oubliez un instant, vous qui êtes graves et réfléchis, oubliez votre science du monde et vos projets sérieux pour jouer avec moi, qui suis tout innocence ; » et nous restions éblouis. D’ailleurs très-sensible, le sentiment qu’éveillait en lui tout ce qui était beau, généreux et tendre, aurait suffi pour lui gagner tous les cœurs. Le soir, comme je préparais le thé, pendant qu’Éva, au piano dans le salon voisin, chantait à Richard une romance dont il avait été question, il vint s’asseoir auprès de moi et me parla de cette charmante créature en des termes qui auraient suffi pour me le faire aimer.

« Elle ressemble, disait-il, avec ses cheveux blonds, ses yeux bleus et humides, cette teinte rose, délicate et si fraîche dont ses joues sont couvertes, au matin d’un beau jour. Les oiseaux la prendraient pour l’aurore en la voyant sourire. Nous ne pouvons pas appeler orpheline cette créature ravissante, qui fait la joie de l’humanité ; c’est l’enfant de l’univers. »

M. Jarndyce s’était approché de nous et l’écoutait en souriant :

« Je crains, dit-il, que l’univers ne soit un assez mauvais père.

— Je ne sais pas ! s’écria M. Skimpole.

— Je crois pouvoir l’affirmer, répliqua mon tuteur.

— Fort bien, reprit M. Skimpole. Vous connaissez la société, qui à vos yeux est l’univers, et je ne sais rien de ce monde ; conservez donc votre opinion : mais dans celui dont je