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BLEAK-HOUSE

vitrés de la porte, soient repoussés par cet aspect ténébreux et par le son traînant de cette voix qui s’échappe du dais ouaté d’où le lord chancelier contemple une lanterne qui ne contient pas de lumière. C’est la haute cour ! celle qui, dans chaque comté, a ses murailles en ruine et ses terrains en friche ; ses maniaques dans toutes les maisons de fous ; ses morts dans chaque cimetière ; ses plaideurs ruinés, endettés et mendiants, traînant de porte en porte leurs souliers éculés ; celle qui donne à l’argent le pouvoir d’anéantir le droit à force de le lasser : qui épuise la bourse, la patience, le courage, l’espoir, détruit la raison et brise le cœur, si bien qu’il n’est pas un homme honorable parmi ses praticiens qui ne vous donne ce conseil : « Supportez tout le tort que l’on pourra vous faire, plutôt que d’entrer ici pour demander justice. »

Qui, par ce temps humide et sombre, pouvait se trouver à la haute cour, si ce n’est le lord grand chancelier, l’avoué du procès, deux ou trois avocats sans cause, les procureurs déjà nommés, un greffier en robe et en perruque, deux ou trois massiers, huissiers, porte-bourses et porte-queues, enfin tous les comparses indispensables d’un procès en bonne forme ? Ils bâillent tous ; car il ne peut découler que de l’ennui de l’affaire Jarndyce contre Jarndyce, la cause pendante, pressurée depuis tant d’années, qu’on ne peut plus rien en attendre. Les sténographes et les journalistes décampent invariablement avec le reste des habitués, quand Jarndyce est appelé ; aussi leur place est-elle vide. Une petite femme est assise dans l’un des bas côtés, à l’endroit le plus favorable, pour jeter un coup d’œil entre les rideaux du sanctuaire où se renferme le grand chancelier ; vieille et folle, la pauvre créature ne manque pas une audience, arrive au commencement, ne part qu’après la fin, attendant toujours qu’un jugement quelconque soit rendu en sa faveur ; on suppose qu’elle a vraiment quelque procès, mais nul ne pourrait l’affirmer et personne ne s’en inquiète. Elle porte dans un sac un fouillis de riens sans nom, qu’elle appelle ses documents, et qui est surtout composé d’allumettes de papier et de lavande desséchée. Un prisonnier, maigre et blême, est dans un coin entre ses deux geôliers ; il vient pour la sixième fois demander à purger sa contumace ; exécuteur testamentaire, mêlé à des comptes dont on ne prétend même pas qu’il ait eu connaissance, néanmoins condamné pour la forme, il sollicite la révision de ce jugement qui le flétrit et l’enchaîne ; mais cette fois encore il ne l’obtiendra pas ; et tandis qu’il réclame, son avenir s’est brisé. Plus près de la barre, c’est un malheureux qui vient pé-