Page:Dickens - Contes de Noël, traduction Lorain, 1857.djvu/130

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Trotty lui raconta ce qu’il savait, quelle réputation on lui avait faite, et le reste.

Le héros de son récit l’écouta avec un calme qui le surprit, sans le contredire ni l’interrompre une seule fois. Il hochait de temps en temps la tête, plutôt, à ce qu’il semblait, pour confirmer une vieille histoire des temps passés, que pour la réfuter : une fois ou deux, il rejeta son chapeau en arrière, et passa sa main calleuse sur un front où chacun des sillons qu’il avait creusés, la charrue en main, semblait avoir laissé empreinte son image en raccourci : ce fut tout.

« C’est assez vrai, au fond, dit-il, mon brave homme ; je ne dis pas que je ne lui ai pas quelquefois donné du fil à retordre ; mais ce qui est fait est fait. Ma foi ! tant pis, si j’ai contrecarré ses plans, c’est moi qui en souffre. D’ailleurs, je ne peux pas m’en empêcher ; demain je recommencerais encore, s’il le fallait. Quant à notre réputation, que tous ces beaux messieurs-là fassent enquête sur enquête, qu’ils fouillent, qu’ils cherchent, ils la trouveront sans tache et exempte de tout reproche, et je les dispense de m’en faire le compliment. Je souhaite seulement pour eux qu’ils ne perdent pas l’estime du monde aussi aisément que nous autres, ou je leur réponds qu’ils mèneront une vie si rude, qu’elle ne vaudra pas beaucoup la peine d’être regrettée. Quant à moi, mon ami, cette main, et il l’étendit toute grande ouverte, cette main n’a jamais pris ce qui ne m’appartenait pas, elle n’a jamais reculé non plus devant la besogne, quelque pénible ou quelque mal payée qu’elle fût. Si quelqu’un peut dire le contraire, je lui permets de la couper à l’instant ! Mais quand le travail n’est plus capable de me soutenir comme il convient à une créature humaine, quand ma nourriture est si mauvaise, si peu abondante, que je meurs de faim, sans trouver a la satisfaire ni au dedans ni au dehors ; quand je vois une vie tout entière de labeurs commencer comme cela, continuer comme cela, finir comme cela, sans espérance de changement, je dis à tous ces beaux messieurs : « Gare là ! laissez ma chaumière tranquille ! la porte en est assez sombre pour que vous ne veniez pas l’assombrir davantage de votre ombre ! Ne comptez pas sur moi pour venir dans le parc faire nombre dans la cantonade le jour anniversaire de vos naissances, écouter vos beaux discours, ou que sais-je encore ? Jouez vos comédies, faites vos parades sans moi, amusez-vous, réjouissez-vous, si vous voulez ; mais nous n’avons rien à démêler ensemble. Je préfère que vous me laissiez seul ! »

S’apercevant que la petite fille qu’il portait dans ses bras avait