Page:Dickens - Contes de Noël, traduction Lorain, 1857.djvu/134

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Eh bien ! père, s’écria Meg après un intervalle de silence.

— J’y suis, j’y suis, m’y voilà, ma chère, dit Trotty.

— Dieu de bonté ! fit Meg, il a perdu la tête. N’a-t-il pas mis le chapeau de cette chère petite sur la bouilloire, et accroché le couvercle derrière la porte !

— Je ne l’ai pas fait exprès, mon amour, dit Trotty se hâtant de réparer sa faute ; Meg, ma Meg chérie ! »

Meg leva les yeux de son côté et vit que le brave homme, après maints efforts, s’était juché derrière la chaise de son hôte, et de là, avec force gestes mystérieux, lui montrait par-dessus la tête de Fern les douze sous qu’il venait de gagner.

« J’ai vu en entrant, ma mignonne, dit-il, une demi-once de thé quelque part sur l’escalier, et je suis à peu près sûr qu’il y avait aussi une tranche de lard. Comme je ne puis me rappeler exactement où c’était, je vais aller chercher moi-même. »

Grâce à cet impénétrable artifice, Toby sortit pour aller acheter, argent comptant, chez Mme Chickenstalker, les susdits comestibles ; après quoi il revint, affectant de dire qu’il avait eu d’abord quelque peine à les trouver dans l’obscurité.

« Mais les voilà enfin, dit-il en disposant ce qu’il fallait pour le thé, tout y est ; j’étais bien sûr qu’il y avait du thé et une tranche de lard ; je ne me trompais pas. Meg, ma biche, si tu veux faire le thé, pendant que ton indigne père fera griller le lard, nous serons prêts à la minute. Une circonstance singulière, poursuivit Trotty se mettant en devoir de vaquer à ses fonctions culinaires, à l’aide de la fourchette à rôtir, une circonstance bien singulière et bien curieuse, mais bien connue de mes amis, c’est que je ne me suis jamais soucié de lard ni de thé. J’aime à voir les autres s’en régaler, ajouta-t-il très-haut afin de mieux convaincre son hôte ; mais, pour ce qui me regarde, comme aliments, ils me sont particulièrement désagréables. »

Cependant Trotty aspirait de toutes ses narines l’odeur du lard qui siffiait devant le feu !… tout comme s’il l’eût aimé ; et. quand il versa l’eau bouillante dans la théière, il regarda avec amour dans les profondeurs de ce bon petit pot, et laissa la vapeur odorante venir tourbillonner autour de son nez, et envelopper son visage et sa tête d’un épais nuage. Néanmoins, et malgré tout, il ne voulut ni boire ni manger, si ce n’est tout à fait au commencement, pour la forme, une bouchée seulement qu’il parut savourer avec un plaisir infini, quoique, à l’entendre, il ne s’en souciât nullement.

Non ; la grande affaire de Trotty, c’était de voir ses deux nouveaux amis manger et boire. Il en était de même de Meg.