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Page:Dickens - Contes de Noël, traduction Lorain, 1857.djvu/123

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votes pour une souscription de cent vingt-cinq francs. C’est réellement monstrueux !

— Milady Bowley, reprit sir Joseph, vous m’étonnez. Est-ce que la jouissance de bien faire est en proportion du nombre de votes ? pour une âme bien placée, n’est-elle pas plutôt en proportion du nombre des candidats et des dispositions salutaires que leur inspire l’œuvre dont ils sont l’objet ? N’est-ce pas un intérêt suffisant et des plus purs que d’avoir à sa disposition deux admissions pour cinquante places ?

— Pas pour moi, je l’avoue, dit la dame. C’est fort ennuyeux. D’ailleurs, on se trouve ainsi hors d’état d’obliger ses connaissances. Mais, vous, vous êtes l’ami des pauvres gens, vous savez, sir Joseph, c’est ce qui fait que nous ne pensons pas de même.

— Je suis l’ami des pauvres gens, répéta le baronnet en regardant le pauvre homme présent à cette conversation. On peut m’en faire la guerre ; ce ne sera pas la première fois ; mais cela n’empêchera pas que je me fasse honneur de ce titre ; je n’en demande pas d’autre.

— Que Dieu le bénisse ! pensa Trotty ; voilà un brave et digne monsieur !

— Je ne suis point de l’avis de Cute, par exemple, continua sir Joseph en montrant la lettre. Je ne suis pas d’accord avec Filer et sa coterie ; je ne suis l’homme d’aucune coterie. Mon ami le pauvre n’a rien à démêler avec tout cela, et tout cela n’a rien à démêler avec lui. Mon ami le pauvre, dans mon quartier, est mon affaire, à moi ; aucun individu, aucune corporation n’a le droit d’intervenir entre mon ami et moi. Voilà le terrain sur lequel je me place ; je prends à l’égard de mon ami un… un rôle tout paternel. Je lui dis : Mon bon ami, je veux vous traiter en père. »

Toby écoutait avec un grand sérieux et commençait à se sen tir plus à l’aise.

« Votre unique affaire, mon bon ami, poursuivit sir Joseph regardant Toby d’un air vague, votre unique affaire est de n’avoir affaire qu’à moi. Vous n’avez pas besoin de vous donner la peine de penser à quoi que ce soit ; j’y penserai pour vous ; je sais ce qui vous est bon ; je suis votre père à perpétuité. Tel est l’ordre établi par une Providence, chef-d’œuvre de sagesse ! or, en vous créant, Dieu a voulu, non pas que vous allassiez vous griser, ribotter, attacher, comme une brute, vos jouissances à la gourmandise (Toby se souvint de ses tripes avec des remords), mais que vous sentissiez toute la dignité du travail. Ainsi donc, allez,