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Page:Dickens - Contes de Noël, traduction Lorain, 1857.djvu/351

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Le Possédé



I

Le don accordé.


Tout le monde le disait.

Loin de moi la pensée de soutenir que ce que dit tout le monde doive être vrai. Souvent il arrive que tout le monde a raison, comme aussi que tout le monde a tort. D’après la commune expérience, tout le monde a tort si fréquemment, et, la plupart du temps, il a fallu de si fastidieuses recherches pour découvrir à quel point il a eu tort, qu’il vaut mieux admettre tout de suite que son autorité est évidemment contestable. Il peut se faire que parfois tout le monde ait raison ; « mais cela n’est point une règle, » comme dit le spectre de Giles Scroggins dans la ballade.

Ce mot redoutable, le spectre, me rappelle à mon héros.

Tout le monde disait qu’il avait l’air d’un homme poursuivi par des visions. Et je demande à ajouter que, cette fois, tout le monde avait raison. C’était la vérité.

Quiconque eût vu ses joues creuses, son œil cave, brillant ; et sous leurs noirs vêtements, ses formes qui avaient je ne sais quoi de repoussant, quoique bien prises et bien proportionnées ; ses cheveux argentés, tombant le long de son visage, semblables à des algues marines enchevêtrées, comme s’il eût été, durant sa vie entière, un but solitaire exposé aux flots déchaînés du vaste océan de l’humanité ; quiconque eût vu cet homme, aurait assurément dit qu’il avait l’air d’un homme poursuivi par des visions, d’un possédé.

Quiconque eût observé son maintien taciturne, rêveur, sombre, ses manières empreintes d’une réserve habituelle, d’une froideur invariable, et son air préoccupé semblant indiquer un retour aux choses et aux temps passés, ou bien une profonde