Page:Dickens - Contes de Noël, traduction Lorain, 1857.djvu/57

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Martha ne put supporter de le voir ainsi contrarié, même pour rire ; aussi n’attendit-elle pas plus longtemps pour sortir de sa cachette, derrière la porte du cabinet, et courut-elle se jeter dans ses bras, tandis que les deux petits Cratchit s’emparèrent de Tiny Tim et le portèrent dans la buanderie, afin qu’il pût entendre le pouding chanter dans la casserole.

«  Et comment s’est comporté le petit Tiny Tim ? demanda mistress Cratchit après qu’elle eut raillé Bob de sa crédulité et que Bob eut embrassé sa fille tout à son aise.

― Comme un vrai bijou, dit Bob, et mieux encore. Obligé qu’il est de demeurer si longtemps assis tout seul, il devient réfléchi, et on ne saurait croire toutes les idées qui lui passent par la tête. Il me disait, en revenant, qu’il espérait avoir été remarqué dans l’église par les fidèles, parce qu’il est estropié, et que les chrétiens doivent aimer, surtout un jour de Noël, à se rappeler celui qui a fait marcher les boiteux et voir les aveugles. »

La voix de Bob tremblait en répétant ces mots ; elle trembla plus encore quand il ajouta que Tiny Tim devenait chaque jour plus fort et plus vigoureux.

On entendit retentir sur le plancher son active petite béquille, et, à l’instant, Tiny Tim rentra, escorté par le petit frère et la petite sœur jusqu’à son tabouret près du feu. Alors Bob, retroussant ses manches par économie, comme si, le pauvre garçon ! elles pouvaient s’user davantage, prit du genièvre et des citrons et en composa dans un bol une sorte de boisson chaude, qu’il fit mijoter sur la plaque après l’avoir agitée dans tous les sens ; pendant ce temps, maître Pierre et les deux petits Cratchit, qu’on était sûr de trouver partout, allèrent chercher l’oie, qu’ils rapportèrent bientôt en procession triomphale.

À voir le tumulte causé par cette apparition, on aurait dit qu’une oie est le plus rare de tous les volatiles, un phénomène emplumé, auprès duquel un cygne noir serait un lieu commun ; et, en vérité, une oie était bien en effet une des sept merveilles dans cette pauvre maison. Mistress Cratchit fit bouillir le jus, préparé d’avance, dans une petite casserole ; maître Pierre écrasa les pommes de terre avec une vigueur incroyable ; miss Belinda sucra la sauce aux pommes ; Martha essuya les assiettes chaudes ; Bob fit asseoir Tiny Tim près de lui à l’un des coins de la table ; les deux petits Cratchit placèrent des chaises pour tout le monde, sans s’oublier eux-mêmes, et, une fois en faction à leur poste, fourrèrent leurs cuillers dans leur bouche, pour ne point céder à la tentation de demander de l’oie avant que vînt