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l’intérieur. C’était encore un comptoir, mais non plus le sien. L’ameublement n’était pas le même, la personne assise dans le fauteuil n’était pas lui. Le fantôme faisait toujours le geste indicateur.

Scrooge le rejoignit, et, tout en se demandant pourquoi il ne se voyait pas là et ce qu’il pouvait être devenu, il suivit son guide jusqu’à une grille de fer. Avant d’entrer, il s’arrêta pour regarder autour de lui.

Un cimetière. Ici, sans doute, gît sous quelques pieds de terre le malheureux dont il allait apprendre le nom. C’était un bien bel endroit, ma foi ! environné de longues murailles, de maisons voisines, envahi par le gazon et les herbes sauvages, plutôt la mort de la végétation que la vie, encombré du trop-plein des sépultures, engraissé jusqu’au dégoût. Oh ! le bel endroit !

L’esprit, debout au milieu des tombeaux, en désigna un. Scrooge s’en approcha en tremblant. Le fantôme était toujours exactement le même, mais Scrooge crut reconnaître dans sa forme solennelle quelque augure nouveau dont il eut peur.

« Avant que je fasse un pas de plus vers cette pierre que vous me montrez, lui dit-il, répondez à cette seule question : Tout ceci, est-ce l’image de ce qui doit être, ou seulement de ce qui peut être ? »

L’esprit, pour toute réponse abaissa sa main du côté de la tombe près de laquelle il se tenait.

« Quand les hommes s’engagent dans quelques résolutions, elles leur annoncent certain but qui peut être inévitable, s’ils persévèrent dans leur voie. Mais s’ils la quittent, le but change ; en est-il de même des tableaux que vous faites passer sous mes yeux ? »

Et l’esprit demeura immobile comme toujours. Scrooge se traîna vers le tombeau, tremblant de frayeur, et, suivant la direction du doigt, lut sur la pierre d’une sépulture abandonnée son propre nom :

Ebenezer Scrooge.

« C’est donc moi qui suis l’homme que j’ai vu gisant sur son lit de mort ? » s’écria-t-il, tombant à genoux.

Le doigt du fantôme se dirigea alternativement de la tombe à lui et de lui à la tombe.

« Non, esprit ! oh ! non, non ! »

Le doigt était toujours là.

« Esprit, s’écria-t-il en se cramponnant à sa robe, écoutez-moi ! je ne suis plus l’homme que j’étais ; je ne serai plus l’homme que j’aurais été si je n’avais pas eu le bonheur de vous