Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/112

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Nous nous retrouvâmes tout seuls, et nous ne savions trop que nous dire. Pour ma part, j’étais tellement désolé et repentant du rôle que j’avais joué dans l’affaire, que je n’aurais pu retenir mes larmes si je n’avais craint que Steerforth, qui me regardait très-souvent, n’en fût mécontent, ou plutôt qu’il ne le trouvât peu respectueux envers lui, tant était grande ma déférence pour son âge et sa supériorité ! En effet, il était très en colère contre Traddles, et se plaisait à dire qu’il était enchanté qu’on l’eût puni d’importance.

Le pauvre Traddles avait déjà passé sa période de désespoir sur son pupitre, et se soulageait comme à l’ordinaire en dessinant une armée de squelettes ; il répondit que ça lui était bien égal ; qu’il n’en était pas moins vrai qu’on avait très-mal agi envers M. Mell.

« Et qui donc a mal agi envers lui, mademoiselle ? dit Steerforth.

— Mais c’est vous, repartit Traddles.

— Qu’est-ce que j’ai donc fait ? dit Steerforth.

— Comment, ce que vous avez fait ? reprit Traddles, vous l’avez profondément blessé, et vous lui avez fait perdre sa place.

— Je l’ai blessé ! répéta dédaigneusement Steerforth. Il s’en consolera un de ces quatre matins, allez. Il n’a pas le cœur aussi sensible que vous, mademoiselle Traddles. Quant à sa place, qui était fameuse, n’est-ce pas ? croyez-vous que je ne vais pas écrire à ma mère pour lui envoyer de l’argent ? »

Nous admirâmes tous la noblesse des sentiments de Steerforth : sa mère était veuve et riche, et prête, disait-il, à faire tout ce qu’il lui demanderait. Nous fûmes tous ravis de voir Traddles ainsi remis à sa place, et on éleva jusqu’aux nues la magnanimité de Steerforth, surtout quand il nous eut informés, comme il daigna le faire, qu’il n’avait agi que dans notre intérêt, et pour nous rendre service, mais qu’il n’avait pas eu pour lui la moindre pensée d’égoïsme.

Mais je suis forcé d’avouer que ce soir-là, tandis que je racontais une de mes histoires, le son de la flûte de M. Mell semblait retentir tristement à mon oreille et lorsque Steerforth fut enfin endormi, je me sentis tout à fait malheureux à la pensée de notre pauvre maître d’études qui peut-être, en cet instant, faisait douloureusement vibrer son instrument mélancolique.

Je l’oubliai bientôt pour contempler uniquement Steerforth