Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/132

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— Je dis seulement, reprit-il en s’adressant à moi, que je désapprouve votre goût pour la compagnie de mistress Peggotty, et que j’entends que vous y renonciez. Maintenant, David, vous me comprenez et vous savez quelles seraient les conséquences de votre désobéissance. »

Je le savais bien, mieux peut-être qu’il ne s’en doutait, pour ce qui regardait ma pauvre mère, et je lui obéis à la lettre. Je ne me retirais plus dans ma chambre. Je ne cherchais plus un refuge auprès de Peggotty, mais je restais tristement dans le salon tout le jour, en soupirant après la nuit, pour aller me coucher.

Quelle cruelle contrainte n’ai-je pas éprouvée à rester dans la même attitude durant de longues heures, sans oser bouger le bras ou la jambe, de peur d’entendre miss Murdstone se plaindre de mon agitation, comme cela lui arrivait au moindre prétexte ; sans oser lever les yeux de peur de rencontrer un regard critique ou malveillant qui cherchait à découvrir de nouveaux sujets de plainte dans le mien. Quel intolérable ennui que d’écouter toujours le tictac de la pendule et de regarder les perles de miss Murdstone pendant qu’elle les enfilait, en me demandant si elle ne se marierait jamais, et quel pouvait être l’infortuné qui encourrait un pareil sort ; enfin quelle triste ressource que de compter les moulures de la cheminée, et de promener mes regards sur les dessins du papier de tenture tout le long de la muraille !

Quelles promenades n’ai-je pas faites tout seul par le mauvais temps d’hiver, par des sentiers boueux, portant en tous lieux sur mes épaules le salon et M. et miss Murdstone avec, pesant fardeau que je ne pouvais secouer, cauchemar insupportable dont je ne pouvais m’affranchir, poids affreux qui écrasait mon intelligence et m’abrutissait tout à fait !

Que de repas passés dans le silence et dans l’embarras, en sentant toujours qu’il y avait une fourchette de trop et que c’était la mienne, un appétit de trop et que c’était le mien, une chaise de trop et que c’était la mienne, quelqu’un de trop et que c’était moi !

Quelles soirées… quand les lumières étaient venues et qu’on m’obligeait à m’occuper tout seul ! Je n’osais pas lire un livre amusant, et je méditais sur quelque traité indigeste d’arithmétique ; les tables des poids et des mesures se transformaient en chansons dans ma tête, sur l’air de Marlborough s’en va-t-en guerre ou de Cadet Roussel ; mes leçons refusaient de se laisser