Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/136

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lourdement encore sur mon âme, et mon chagrin devenait une douleur sourde que rien ne pouvait soulager.

Cependant mes pensées étaient vagues encore, elles ne portaient pas sur le malheur qui accablait mon cœur, elles erraient à l’entour. Je pensais à notre maison fermée et silencieuse. Je pensais à mon petit frère qui languissait depuis quelque temps, m’avait dit mistress Creakle, et qu’on supposait près de mourir aussi. Je pensais au tombeau de mon père dans le cimetière près de notre maison, et je voyais ma mère couchée sous cet arbre que je connaissais si bien. Je montai sur une chaise quand je fus seul, pour regarder à la glace comme mes yeux étaient rouges et comme j’avais l’air triste. Je me demandai, au bout de quelques heures si mes larmes, qui s’étaient arrêtées, ne recommenceraient pas, quand j’approcherais de la maison, car on me faisait venir pour l’enterrement, et c’était un nouveau chagrin, en pensant à la perte que je venais de faire ; car je sentais, je me le rappelle, que j’avais une dignité à garder parmi mes petits camarades, et que mon affliction même m’imposait un décorum en rapport avec l’importance de ma position.

Si jamais un enfant fut atteint d’une douleur sincère, c’était bien moi. Et pourtant je me souviens que cette importance me donnait une certaine satisfaction, quand je me promenais dans le jardin pendant que mes camarades étaient en classe. Quand je les voyais me regarder furtivement par la fenêtre, je sentais comme de l’orgueil, et je marchais plus lentement, d’un air plus mélancolique. Quand l’heure de la classe fut passée, et qu’ils vinrent tous me parler, je me félicitai en moi-même de ne pas être fier avec eux, et de les accueillir tous absolument avec la même bienveillance qu’autrefois.

Je devais partir le lendemain soir, non par la diligence, mais par une voiture de nuit, appelée la Fermière, et destinée en général aux gens de la campagne, qui n’avaient à faire qu’un petit trajet sur la route. Je ne racontai pas d’histoires ce soir-là, et Traddles voulut absolument me prêter son oreiller. Je ne sais pas quel bien il pensait que cela pouvait me faire, puisque j’avais un oreiller à moi ; mais c’était tout ce que le pauvre garçon avait à me prêter, sauf une feuille de papier couverte de squelettes, qu’il me remit au moment de mon départ pour me consoler de mes chagrins, et contribuer un peu à rétablir la paix de mon âme.

Je quittai la pension le lendemain dans l’après-midi, ne me