Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/144

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sur la terre, et à qui je suis convaincu, dans ma joie d’enfant, que le Seigneur dira un jour : « Je suis content. »

Il y a beaucoup de visages de ma connaissance, des visages que je reconnais pour les avoir vus à l’église pendant que je regardais de tous les côtés, des visages de gens qui avaient connu ma mère quand elle était arrivée au village dans tout l’éclat de sa jeunesse. Je ne fais pas attention à eux, je ne pense qu’à mon chagrin, et pourtant je vois et je reconnais tout le monde, même Marie qui est dans le fond, occupée à lancer des œillades à son fiancé qui est tout près de moi.

C’est fini, la terre est rejetée dans la fosse, et nous reprenons le chemin de la maison qui se dresse devant nous ; elle est toujours jolie, elle n’a pas changé, mais elle est tellement unie dans mon esprit aux souvenirs de mon nfance, de tout ce qui n’est plus, que mon chagrin de tout à l’heure n’est plus rien en comparaison de celui que j’éprouve à sa vue. On m’emmène pourtant toujours ; M. Chillip me parle, et quand nous arrivons à la maison, il me fait boire un verre d’eau, puis je lui demande la permission de monter dans ma chambre, et il me dit adieu avec une douceur de femme.

Je répète que tout cela est pour moi un événement d’hier. Des faits plus récents m’ont échappé pour flotter vers ce rivage où s’accumule, pour reparaître un jour, tout ce qui a été oublié, mais ce jour de ma vie est devant moi comme un grand rocher debout dans l’Océan.

Je savais bien que Peggotty viendrait me rejoindre dans ma chambre. Le repos de ce jour ressemblait à celui du dimanche, c’est ce qu’il nous fallait à tous. Elle s’assit à côté de moi sur mon petit lit, en tenant ma main dans les siennes : tantôt elle la baisait tendrement, tantôt elle me caressait comme elle aurait pu consoler mon petit frère, et elle me raconta à sa manière tout ce qu’elle avait à me dire sur ce qui venait de se passer.

« Il y avait longtemps qu’elle n’était pas bien, dit Peggotty. Son esprit était tourmenté, elle n’était pas heureuse. Quand son enfant fut né, je pensais d’abord qu’elle allait se remettre, mais elle devenait au contraire plus délicate tous les jours. Avant la naissance de son enfant, elle aimait à rester seule, et alors elle pleurait ; quand elle eut son enfant, elle lui chantait si doucement qu’il me semblait une fois, en l’écoutant, que c’était une voix dans les airs, qui montait toujours vers le ciel.