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Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/148

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des rêves que je faisais tout éveillé, des ombres chinoises qui dessinaient un moment leur forme légère sur les murs de ma chambre pour s’évanouir bientôt et ne plus laisser que la nudité de la muraille.

« Peggotty, dis-je un soir d’un ton pensif, en me chauffant les mains devant le feu de la cuisine, M. Murdstone m’aime encore moins qu’autrefois. Il ne m’aimait déjà pas beaucoup, Peggoty, mais maintenant, il voudrait bien ne plus me voir jamais, s’il pouvait.

— Peut-être cela vient-il de son chagrin, dit Peggotty, en passant la main sur mes cheveux.

— J’ai pourtant aussi du chagrin, Peggotty. Si je croyais que cela vînt de son chagrin, je n’y penserais pas. Mais non, ce n’est pas cela, ce n’est pas cela.

— Comment le savez-vous ? reprit Peggotty après un moment de silence.

— Oh ! son chagrin n’est pas du tout comme le mien ; il est triste dans ce moment-ci, assis auprès du feu avec miss Murdstone, mais si j’entrais, Peggotty, il serait…

— Quoi donc ? dit Peggotty.

— En colère, répondis-je, et j’imitai involontairement le froncement de ses sourcils. S’il n’était que triste, il ne me regarderait pas comme il fait. Moi, je suis triste aussi, mais il me semble que ma tristesse me dispose plutôt à la bienveillance. »

Peggotty garda le silence un moment, et je me chauffai les mains sans rien dire non plus.

« David dit-elle enfin.

— Eh bien ! Peggotty ?

— J’ai essayé, mon cher enfant, j’ai essayé de toutes les manières, de tous les moyens connus et inconnus, pour trouver du service ici, à Blunderstone, mais il n’y a rien du tout qui puisse me convenir, mon chéri !

— Et que comptez-vous faire, Peggotty ? dis-je tristement ; où comptez-vous aller chercher fortune ?

— Je crois que je serai obligée d’aller vivre à Yarmouth, dit Peggotty.

— Encore un peu plus loin, dis-je en m’égayant un peu, et vous auriez été tout à fait perdue, mais là je pourrai vous voir encore quelquefois, ma bonne vieille Peggotty. Ce n’est pas tout à fait à l’autre bout du monde, n’est-ce pas ?

— Au contraire ; s’il plaît à Dieu, s’écria Peggotty avec une grande animation, tant que vous serez ici, mon chéri, je