Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/168

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Le magasin de Murdstone et Grinby était situé à Blackfriars, au bord de la rivière. Les améliorations récentes ont changé les lieux, mais c’était dans ce temps-là la dernière maison d’une rue étroite qui descendait en serpentant jusqu’à la Tamise, et que terminaient quelques marches d’où on montait sur les bateaux. C’était une vieille maison avec une petite cour qui aboutissait à la rivière quand la marée était haute, et à la vase de la rivière quand la mer se retirait ; les rats y pullulaient. Les chambres, revêtues de boiseries décolorées par la fumée et la poussière depuis plus d’un siècle, les planchers et l’escalier à moitié détruits, les cris aigus et les luttes des vieux rats gris dans les caves, la moisissure et la saleté générale du lieu, tout cela est présent à mon esprit comme si je l’avais vu hier. Je le vois encore devant moi comme à l’heure fatale où j’y arrivai pour la première fois, ma petite main tremblante dans celle de M. Quinion.

Les affaires de Murdstone et Grinby embrassaient des branches de négoce très-diverses, mais le commerce des vins et des liqueurs avec certaines compagnies de bateaux à vapeur en était une partie importante. J’oublie quels voyages faisaient ces vaisseaux, mais il me semble qu’il y avait des paquebots qui allaient aux Indes orientales et aux Indes occidentales. Je sais qu’une des conséquences de ce commerce était une quantité de bouteilles vides, et qu’on employait un certain nombre d’hommes et d’enfants à les examiner, à mettre de côté celles qui étaient fêlées, et à rincer et laver les autres. Quand les bouteilles vides manquaient, il y avait des étiquettes à mettre aux bouteilles pleines, des bouchons à couper, à cacheter, des caisses à remplir de bouteilles. C’était l’ouvrage qui m’était destiné ; je devais faire partie des enfants employés à cet office.

Nous étions trois, ou quatre en me comptant. On m’avait établi dans un coin du magasin, et M. Quinion pouvait me voir par la fenêtre située au-dessus de son bureau, en se tenant sur un des barreaux de son tabouret. C’est là que le premier jour où je devais commencer la vie pour mon propre compte sous de si favorables auspices, on fit venir l’aîné de mes compagnons pour me montrer ce que j’aurais à faire. Il s’appelait Mick Walker ; il portait un tablier déchiré et un bonnet de papier. Il m’apprit que son père, était batelier et qu’il faisait tous les ans partie de la procession du lord maire avec un chapeau de velours noir sur la tête. Il m’annonça aussi que