Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/206

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par le soleil. J’étais couvert de poussière de la tête aux pieds, et presque aussi blanc que si je sortais d’un four à chaux. C’était dans cet état et dans le trouble que j’en ressentais que j’attendais pour ma présenter à ma terrible tante et pour faire sur elle ma première impression.

Rien ne bougeait à la fenêtre du salon ; j’en conclus au bout d’un moment qu’elle n’y était pas, je levai les yeux pour regarder la croisée au-dessus, et je vis un monsieur d’une figure agréable, au teint fleuri, aux cheveux gris, qui fermait un œil d’un air grotesque en me faisant de la tête, à deux ou trois reprises différentes, des signes contradictoires, disant oui, disant non, et qui finalement se mit à rire et s’en alla.

J’étais déjà bien assez embarrassé, mais cette conduite inattendue acheva de me déconcerter, et j’étais sur le point de m’évader sans rien dire pour réfléchir à ce que j’avais à faire, quand une dame sortit de la maison, un mouchoir noué par- dessus son bonnet ; elle portait des gants de jardinage, un tablier avec une grande poche et un grand couteau. Je la reconnus à l’instant même pour miss Betsy, car elle sortit de la maison d’un pas majestueux, comme ma pauvre mère m’avait souvent raconté qu’elle l’avait vue marcher dans notre jardin à Blunderstone.

«  Allez, dit miss Betsy en secouant la tête et en gesticulant de loin avec son couteau. Allez-vous-en ! Point de garçons ici ! »

Je la regardais en tremblant, le cœur sur les lèvres, pendant qu’elle s’en allait au pas militaire vers un coin de son jardin, où elle se baissa pour déraciner une petite plante. Alors sans ombre d’espérance, mais avec le courage du désespoir, j’allai tout doucement auprès d’elle et la touchai du bout du doigt :

« Madame, s’il vous plaît, commençai-je. »

Elle tressaillit et releva les yeux.

« Ma tante, s’il vous plaît…

— Hein ? dit miss Betsy, d’un ton d’étonnement tel que je n’ai jamais rien vu de pareil.

— Ma tante, s’il vous plaît, je suis votre neveu.

— Oh ! mon Dieu ! dit ma tante, et elle s’assit par terre dans l’allée.

— Je suis David Copperfield, de Blunderstone, dans le comté de Suffolk, où vous êtes venue la nuit de ma naissance voir ma chère maman. J’ai été bien malheureux depuis sa mort. On m’a négligé, on ne m’a rien fait apprendre, on m’a