Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/217

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

vous ferez mes compliments à M. Dick, et vous lui direz que je serais bien aise de savoir si son mémoire avance. »

Je me levai vivement pour m’acquitter de cette commission.

« Je suppose, dit ma tante en me regardant aussi attentivement que l’aiguille qu’elle venait d’enfiler, je suppose que vous trouvez le nom de M. Dick un peu court.

— C’est ce que je me disais hier, je le trouvais… un peu court, répondis-je.

— N’allez pas croire qu’il n’en a pas d’autre qu’il pût porter si cela lui convenait, dit ma tante d’un air de dignité ; Babley, M. Richard Babley, voilà son véritable nom. »

J’allais dire, par un sentiment modeste de ma jeunesse et de la familiarité dont je m’étais déjà rendu coupable, qu’il vaudrait peut-être mieux que je lui donnasse son nom tout entier, mais ma tante reprit :

« Mais ne l’appelez jamais ainsi dans aucun cas. Il ne peut souffrir son nom, c’est une petite manie. Je ne sais pas, si on peut appeler cela une manie, car il a assez souffert de gens qui portent le même nom pour qu’il en ait conçu un dégoût mortel, Dieu le sait ! M. Dick est son nom ici, et partout ailleurs maintenant ; c’est-à-dire s’il allait jamais ailleurs, ce qu’il ne fait pas. Ainsi ayez bien soin, mon enfant, de ne jamais l’appeler autrement que M. Dick. »

Je promis d’obéir et je montai pour m’acquitter de mon message, en pensant en chemin que, si M. Dick travaillait depuis longtemps à son mémoire avec l’assiduité qu’il y mettait quand je l’avais aperçu par la porte ouverte en descendant déjeuner, le mémoire devait toucher à sa fin. Je le trouvai toujours absorbé dans la même occupation, une longue plume à la main et sa tête presque collés contre le papier. Il était si occupé que j’eus tout le temps de remarquer un grand cerf-volant dans un coin, de nombreux paquets de manuscrits en désordre, des plumes innombrables, et par-dessus tout une énorme provision d’encre (il y avait une douzaine, au moins, de bouteilles d’un litre rangées en bataille), avant qu’il s’aperçût de ma présence.

« Ah Phébus ! dit M. Dick en posant sa plume, je ne sais comment le monde va ! Mais je vous dirai une chose, ajouta-t-il en baissant la voix, je ne voudrais pas que cela fût répété, mais… Ici il me fit signe de m’approcher et, me parlant à l’oreille « le monde est fou, fou à lier, mon garçon », dit