Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/232

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

nous sortions souvent ensemble pour enlever le grand cerf-volant. Tous les jours de la vie, il travaillait longtemps à son mémoire, qui ne faisait pas le moindre progrès, quelque peine qu’il y prît, car le roi Charles venait toujours se fourrer tantôt au commencement, tantôt à la fin et alors il n’en fallait plus parler, c’était à recommencer. La patience et le courage avec lesquels il supportait ces désappointements continuels, l’idée vague qu’il avait que le roi Charles Ier n’avait rien à voir là dedans, les faibles efforts qu’il tentait pour le chasser, et l’entêtement avec lequel ce monarque revenait condamner le mémoire à l’oubli, tout cela me fit une profonde impression. Je ne sais pas ce que M. Dick comptait faire du mémoire, dans le cas où il serait terminé, je crois qu’il ne savait pas plus que moi où il avait l’intention de l’envoyer, ni quels effets il en attendait. Mais, au reste, il n’était pas nécessaire qu’il se préoccupât de cette question, car s’il y avait quelque chose de certain sous le soleil, c’est que le mémoire ne serait jamais terminé.

C’était touchant de le voir avec son cerf-volant, quand il l’avait enlevé à une grande hauteur dans les airs. Ce qu’il m’avait dit, dans sa chambre, des espérances qu’il avait conçues de cette manière de disséminer les faits exposés sur les papiers qui le couvraient et qui n’étaient autres que des feuillets sacrifiés de quelque mémoire avorté, pouvait bien le préoccuper quelquefois, mais une fois dehors, il n’y pensait plus. Il ne pensait qu’à regarder le cerf-volant s’envoler et à développer à mesure la pelote de ficelle qu’il tenait à la main. Jamais il n’avait l’air plus serein. Je me disais quelquefois, quand j’étais assis près de lui le soir, sur un tertre de gazon, et que je le voyais suivre des yeux les mouvements du cerf-volant dans les airs, que son esprit sortait alors de sa confusion pour s’élever avec son jouet dans les cieux. Quand il roulait la ficelle, et que le cerf-volant, descendant peu à peu, sortait de l’horizon éclairé par le soleil couchant, pour tomber sur la terre comme frappé de mort, il semblait sortir peu à peu d’un rêve, et je l’ai vu ramasser son cerf-volant, puis regarder autour de lui d’un air égaré, comme s’ils étaient tombés ensemble d’une chute commune, et je le plaignais de tout mon cœur.

Les progrès que je faisais dans l’amitié et l’intimité de M. Dick ne nuisaient en rien à ceux que je faisais dans les bonnes grâces de sa fidèle amie, ma tante. Elle prit assez