Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/234

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à ne lui laisser faire sa volonté sous aucun prétexte. Quand nous fûmes en rase campagne, elle lui donna un peu plus de liberté et jetant un regard sur une vallée de coussins, dans lesquels j’étais enseveli auprès d’elle, elle me demanda si j’étais heureux.

«  Très-heureux, merci, ma tante, » dis-je. Elle en fut si satisfaite que n’ayant pas les mains libres pour me témoigner sa joie, elle me caressa la tête avec le manche de son fouet.

« La pension est-elle nombreuse ma tante, demandai-je.

— Je n’en sais rien, dit ma tante, nous allons d’abord chez M. Wickfield.

— Est-ce qu’il tient une pension ? demandai-je.

— Non, Trot, c’est un homme d’affaires. » Je ne demandai plus de renseignements sur le compte de M. Wickfield, et ma tante ne m’en offrant pas davantage, la conversation roula sur d’autres sujets, jusqu’au moment où nous arrivâmes à Canterbury. C’était le jour du marché, et ma tante eut beaucoup de peine à faire circuler le cheval gris entre les charrettes, les paniers, les piles de légumes et les mottes de beurre. Il s’en fallait parfois de l’épaisseur d’un cheveu que tout un étalage ne fût renversé, ce qui nous attirait des discours peu flatteurs de la part des gens qui nous entouraient mais ma tante conduisait toujours avec le calme le plus parfait, et je crois qu’elle aurait traversé avec la même assurance un pays ennemi.

Enfin nous nous arrêtâmes devant une vieille maison qui usurpait sur l’alignement de la rue ; les fenêtres du premier étage étaient en saillie, et les solives avançaient également leurs têtes sculptées au-dessus de la chaussée, de sorte que je me demandai un moment si toute la maison n’avait pas la curiosité de se porter ainsi en avant pour voir ce qui se passait dans la rue jusque sur le trottoir. Au reste, cela ne l’empêchait pas d’être d’une propreté exquise. Le vieux marteau de la porte cintrée, au milieu des guirlandes de fleurs et de fruits sculptés qui l’entouraient, brillait comme une étoile. Les marches de pierre étaient aussi nettes que si elles venaient de passer leur linge blanc, et tous les angles, les coins, les sculptures et les ornements, les petits carreaux des vieilles fenêtres, tout cela était aussi éclatant de propreté que la neige qui tombe sur les montagnes.

Quand la voiture s’arrêta à la porte, j’aperçus en regardant la maison une figure cadavérique, qui se montra un moment à une petite fenêtre dans une tourelle, à l’un des angles de la