Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/25

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que comme elle était très grasse, une ou deux des agrafes de sa robe sautaient chaque fois qu’elle se livrait à un exercice un peu violent. Or, je me rappelle qu’au moment où elle me serra dans ses bras, j’entendis deux agrafes craquer et s’élancer à l’autre bout de la chambre.

« Maintenant lisez-moi encore un peu des cocodrilles, dit Peggotty qui n’était pas encore bien forte sur ce nom-là, j’ai tant d’envie d’en savoir plus long sur leur compte. »

Je ne comprenais pas parfaitement pourquoi Peggotty avait l’air si drôle, ni pourquoi elle était si pressée de reprendre la lecture des crocodiles. Nous nous remîmes à l’histoire de ces monstres avec un nouvel intérêt : tantôt nous mettions couver leurs œufs au grand soleil dans le sable ; tantôt nous les faisions enrager en tournant constamment autour d’eux d’un mouvement rapide que leur forme singulière les empêchait de pouvoir suivre avec la même rapidité ; tantôt nous imitions les indigènes, et nous nous jetions à l’eau pour enfoncer de longues pointes dans la gueule de ces horribles bêtes ; enfin nous en étions venus à savoir nos crocodiles par cœur, moi du moins, car Peggotty avait des moments de distraction où elle s’enfonçait assidûment dans les mains et dans les bras sa longue aiguille à repriser.

Nous allions nous mettre aux alligators quand on sonna à la porte du jardin. Nous courûmes pour l’ouvrir ; c’était ma mère, plus jolie que jamais, à ce qu’il me sembla : elle était escortée d’un monsieur qui avait des cheveux et des favoris noirs superbes : il était déjà revenu de l’église avec nous le dimanche précédent.

Ma mère s’arrêta sur le seuil de la porte pour m’embrasser, ce qui fit dire au monsieur que j’étais plus heureux qu’un prince, ou quelque chose de ce genre, car il est possible qu’ici mes réflexions d’un autre âge aident légèrement à ma mémoire.

« Qu’est que cela veut dire ? » demandai-je à ce monsieur par-dessus l’épaule de ma mère.

Il me caressa la joue ; mais je ne sais pourquoi, sa voix et sa personne ne me plaisaient nullement, et j’étais très fâché de voir que sa main touchait celle de ma mère tandis qu’il me caressait. Je le repoussai de toutes mes forces.

« Oh ! Davy, s’écria ma mère.

— Cher enfant ! dit le monsieur, je comprends bien sa jalousie. »

Jamais je n’avais vu d’aussi belles couleurs sur le visage de