Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/250

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yeux de sa main, mais je l’avais remarqué un moment auparavant.

« Je ma demande, murmura-t-il, si mon Agnès est lasse de moi. Je sais bien que moi, je ne me lasserai jamais d’elle, mais c’est différent… bien diffèrent. »

C’était une réflexion qu’il se faisait en lui-même, ce n’est pas à moi qu’il l’adressait ; je restai donc immobile.

« C’est une vieille maison un peu triste et une vie bien monotone, mais il faut qu’elle reste près de moi. Il faut que je la garde près de moi. Si la pensée que je puis mourir et quitter mon enfant chérie, ou que ce cher trésor peut venir à mourir et me quitter elle-même, trouble déjà comme un spectre mes moments les plus heureux ; si je ne puis la noyer que dans… »

Il ne prononça pas le mot, mais il s’avança lentement vers la table où étaient posés les verres, fit d’un air distrait le geste de verser du vin de la bouteille vide, puis la posa et se remit à marcher dans la chambre.

« Si cette pensée est déjà si cruelle à supporter quand elle est ici, dit-il, que serait-ce si elle était loin de moi ? Non, non. Je ne puis m’y décider. »

II s’appuya contre le manteau de la cheminée, et resta si longtemps plongé dans ses méditations que je ne savais si je devais risquer de le déranger en me retirant, ou rester tranquillement à ma place, jusqu’à ce qu’il fût sorti de sa rêverie. Enfin, il fit un effort, et ses yeux me cherchèrent dans la chambre.

« Vous voulez rester avec nous, Trotwood, dit-il de son ton ordinaire, et comme s’il répondait sans intervalle à quelque chose que je venais de lui dire, j’en suis bien aise. Vous nous tiendrez compagnie à tous deux. Cela nous fera du bien de vous avoir ici, ce sera bon pour moi, bon pour Agnès, et peut-être pour vous aussi.

— Pour moi, j’en suis sûr, monsieur, répondis-je. Je suis si content d’être ici !

— Vous êtes un brave garçon, dit M. Wickfield ; tant qu’il vous conviendra d’y rester, vous y serez le bienvenu. »

Il me donna une poignée de main, puis me frappant sur l’épaule, il me dit que lorsque j’aurais quelque chose à faire le soir après le départ d’Agnès, ou quand je voudrais lire pour mon plaisir, je pouvais descendre dans son cabinet s’il y était, et si je désirais un peu de société pour passer la soirée avec