Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/339

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heureux de tout ce que je voyais, mais qu’au premier moment, c’était un plaisir d’une nature si délicate, qu’un rien eût pu le changer en souffrance.

Par conséquent, si c’eût été à moi de toucher avec quelque adresse la corde qui vibrait dans tous les cœurs, je m’en serais bien mal tiré. Mais heureusement Steerforth était là, et il y réussit avec tant d’habileté, qu’en un instant nous nous trouvâmes tous aussi à notre aise, aussi heureux que nous pouvions l’être.

« Monsieur Peggotty, dit-il, vous êtes un excellent homme et vous méritez bien d’être heureux comme vous l’êtes ce soir ! Donnez-moi une poignée de main. Ham, mon garçon, je vous fais mon compliment ! Une poignée de main aussi ! — Pâquerette, tisonnez le feu, et faites-le flamber comme il faut ! Monsieur Peggotty, si vous ne décidez pas votre jolie nièce à venir reprendre la place au coin du feu que j’abandonne pour elle, je m’en vais. Je ne voudrais pas causer, pour tout l’or des Indes, un vide dans votre cercle ce soir, et ce vide-là surtout ! »

M. Peggotty alla donc dans mon ancienne chambre chercher la petite Émilie. Au commencement, elle ne voulait pas venir, et Ham disparut pour s’en mêler. Enfin on l’amena près du feu ; elle était très-confuse et très-intimidée, mais elle se remit un peu en remarquant les manières douces et respectueuses de Steerforth envers elle, l’adresse avec laquelle il évitait tout ce qui pouvait l’embarrasser, l’entrain avec lequel il entretenait M. Peggotty de bateaux, de marées, de vaisseaux et de pêche ; l’appel qu’il fit à mes souvenirs à propos du temps où il avait vu M. Peggotty chez M. Creakle, le plaisir qu’il avait à voir le bateau et sa cargaison, enfin, la grâce et l’aisance avec lesquelles il nous attira tous, par degré, dans un cercle enchanté, où nous parlions sans embarras et sans gêne.

À vrai dire, Émilie, pourtant, ne parla guère de toute la soirée, mais elle écoutait, elle regardait ; son visage était animé, elle était charmante ! Steerforth raconta l’histoire d’un terrible naufrage que lui rappelait sa conversation avec M. Peggotty : il le dépeignait avec le même feu que s’il était présent à la scène, et les yeux de la petite Émilie étaient fixés sur lui, comme si elle voyait aussi, dans ses traits, le spectacle qu’il décrivait si bien. Il nous raconta ensuite une aventure comique qui lui était arrivée, pour nous remettre de l’histoire du naufrage, et il y mit autant de gaieté que si c’était un récit