Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/344

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

M. Chillip s’était remarié ; sa femme était une grande maigre qui avait le nez aquilin ; ils avaient un petit enfant très-délicat, qui ne pouvait pas soutenir sa tête, avec deux yeux ternes et fixes qui semblaient toujours demander pourquoi le pauvre petit était venu au monde.

C’était avec un singulier mélange de plaisir et de tristesse que j’errais dans mon village natal, jusqu’au moment où le soleil d’hiver commençant à baisser, m’avertissait qu’il était temps de reprendre le chemin de la ville. Mais, quand j’étais de retour à l’hôtel et que je me retrouvais à table avec Steerforth près d’un feu ardent, je pensais avec délices à ma course de la journée. J’éprouvais le même sentiment, quoique plus modéré, en rentrant le soir dans ma petite chambre si propre, et je me disais en tournant les pages du livre des Crocodiles toujours placé là sur une table, que j’étais bien heureux d’avoir un ami comme Steerforth, une amie comme Peggotty, et d’avoir trouvé dans la personne de mon excellente et généreuse tante quelqu’un qui remplaçât si bien ceux que j’avais perdus.

Quand je revenais de mes longues promenades, le chemin le plus court pour rentrer à Yarmouth était de prendre le bac. Je débarquais sur la grève qui s’étend entre la ville et la mer, et je traversais un espace vide ce qui m’épargnait un long détour par la grande route. Je trouvais sur mon chemin la maison de M. Peggotty, et j’y entrais toujours un moment ; Steerforth m’y attendait d’ordinaire, et nous nous dirigions ensemble, à travers le brouillard et la bise, vers les lumières de la ville qui scintillaient dans le lointain.

Un soir, il était tard, j’avais fait ma visite d’adieu à Blunderstone, car nous nous préparions à retourner chez nous ; je trouvai Steerforth tout seul dans la maison de M. Peggotty ; il était assis devant le feu, d’un air pensif, et tellement absorbé dans ses réflexions, qu’il ne m’entendit pas approcher. Il n’avait pas besoin pour cela d’une rêverie bien profonde, car les pas ne faisaient pas de bruit sur le sable, mais mon entrée même ne le tira pas de ses méditations. J’étais près de lui, je le regardais, et il continuait à rêver d’un air sombre.

Il tressaillit si vivement quand je posai ma main sur son épaule qu’il me fit tressaillir aussi.

« Vous venez me saisir comme un revenant saisit sa victime, me dit-il presque en colère.

— Il fallait bien m’annoncer d’une manière ou d’une autre,