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Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/397

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faut parler ; il ne faut pas laisser votre père faire une démarche si imprudente : il faut l’empêcher, Agnès, pendant qu’il en est encore temps ! »

Agnès, me regardant toujours, secouait sa tête en souriant faiblement de la chaleur que j’y mettais, puis elle me répondit :

« Vous vous rappelez notre dernière conversation à propos de papa ? Ce fut peu de temps après… deux ou trois jours peut-être, qu’il me laissa entrevoir pour la première fois ce que je vous apprends aujourd’hui. C’était bien triste de le voir lutter contre son désir de me faire accroire que c’était une affaire de son libre choix, et la peine qu’il avait à me cacher qu’il y était obligé. J’en ai eu bien du chagrin.

— Obligé ! Agnès qu’est-ce qui l’y oblige ?

— Uriah, répondit-elle après un moment d’hésitation, s’est arrangé pour lui devenir indispensable. Il est fin et vigilant. Il a deviné les faiblesses de mon père, il les a encouragées, il en a profité ; enfin, si vous voulez que je vous dise tout ce que je pense, Trotwood, papa a peur de lui. »

Je vis clairement qu’elle eût pu en dire davantage ; qu’elle en savait ou qu’elle en devinait plus long. Je ne voulus pas lui donner le chagrin de lui demander ce qu’elle me cachait ; je savais qu’elle se taisait pour épargner son père ; je savais que, depuis longtemps, les choses prenaient ce chemin ; oui, en y réfléchissant, je ne pouvais me dissimuler qu’il y avait longtemps que cet événement se préparait. Je gardai le silence.

« Son ascendant sur papa est très-grand, dit Agnès. Il professe beaucoup d’humilité et de reconnaissance, c’est peut-être vrai… Je l’espère, mais il a vraiment pris une position qui lui donne beaucoup de pouvoir, et je crains qu’il n’en use durement.

— Lui ! ce n’est qu’un chacal ; lui dis-je, et ce fut pour moi, sur le moment, un grand soulagement.

— Au moment dont je parle, celui où papa me fit cette confidence, poursuivit Agnès, Uriah lui avait dit qu’il allait le quitter ; qu’il en était bien fâché ; que cela lui faisait beaucoup de peine, mais qu’on lui faisait de très-belles propositions. Papa était très-abattu et plus accablé de soucis que nous ne l’avions jamais vu, vous et moi, mais il a semblé soulagé par cet expédient d’association, quoiqu’il parût en même temps en être blessé et humilié.

— Et comment avez-vous reçu cette nouvelle, Agnès ?