Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/422

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

(il n’y avait point là d’autres dames), je tombai dans une douce rêverie qui n’était troublée que par une vive inquiétude de ce que miss Murdstone pourrait dire de malveillant sur mon compte. Le monsieur aimable et chauve me raconta une longue histoire d’horticulture, je crois. Il me semble que je l’entendis me répéter plusieurs fois : « Mon jardinier. » J’avais l’air de lui prêter l’attention la plus soutenue, mais en réalité j’errais pendant tout ce temps dans le jardin d’Éden avec Dora. Mes craintes d’être desservi auprès de l’objet de toutes mes affections se ranimèrent quand nous rentrâmes dans le salon, à l’aspect du sombre visage de miss Murdstone dans le lointain. Mais j’en fus soulagé d’une manière inattendue.

« David Copperfield, dit miss Murdstone me faisant signe de venir la rejoindre près d’une fenêtre, un mot ! »

Je me trouvai en face de miss Murdstone :

« David Copperfield, me dit miss Murdstone, je n’ai pas besoin de m’étendre sur nos affaires de famille, le sujet n’est pas séduisant.

— Loin de là, mademoiselle, répliquai-je.

— Loin de là, répéta miss Murdstone. Je n’ai aucun désir de rappeler des querelles passées et des injures oubliées. J’ai été outragée par une personne, par une femme, je suis fâchée de le dire pour l’honneur de mon sexe, et, comme je ne pourrais parler d’elle sans mépris et sans dégoût, j’aime mieux ne pas y faire allusion. »

J’étais prêt à prendre feu pour ma tante. Cependant je me contins et lui dis qu’il serait certainement plus convenable, si miss Murdstone le voulait bien, de ne pas y faire allusion ; j’ajoutai que je ne pouvais entendre parler d’elle qu’avec respect, qu’autrement je prendrais hautement sa défense. »

Miss Murdstone ferma les yeux, pencha la tête avec dédain, puis, rouvrant lentement les yeux, elle reprit :

« David Copperfield, je n’essayerai pas de vous dissimuler que je me suis fait une opinion défavorable sur votre compte dans votre enfance. Je me suis peut-être trompée, ou bien vous avez cessé de justifier cette manière de voir ; ce n’est pas la question pour le moment. Je fais partie d’une famille remarquable, je crois, pour sa fermeté, et je ne suis sujette ni à changer d’avis ni à me laisser gouverner par les circonstances. Je puis avoir mon opinion sur votre compte. Vous pouvez avoir la vôtre sur le mien. »