Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/464

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je l’avais remarquée, il me sembla au contraire que son regard en devint plus perçant et son attention plus marquée. J’avais beau me sentir innocent, en toute conscience, des torts dont elle pouvait me soupçonner, je n’en fuyais pas moins ces yeux étranges dont je ne pouvais supporter l’ardeur affamée.

Pendant toute la journée, on ne rencontrait qu’elle dans la maison. Si je causais avec Steerforth dans sa chambre, j’entendais sa robe qui frôlait la muraille dans le corridor. Si nous nous exercions sur la pelouse, derrière la maison, à nos anciens amusements, je voyais son visage apparaître à toutes les croisées successivement comme un feu follet, jusqu’à ce qu’elle eût fait choix d’une fenêtre propice pour mieux nous regarder. Une fois, pendant que nous nous promenions tous les quatre dans l’après-midi, elle me prit le bras et le serra de sa petite main maigre comme dans un étau, pour m’accaparer, laissant Steerforth et sa mère marcher quelques pas en avant, et lorsqu’ils ne purent plus l’entendre, elle me dit :

« Vous avez passé bien du temps sans venir ici, votre profession est-elle réellement si intéressante et si attachante qu’elle puisse absorber tout votre intérêt ? Si je vous fais cette question, c’est que j’aime toujours à apprendre ce que je ne sais pas. Voyons, réellement ? »

Je répliquai qu’en effet, j’aimais assez mon état, mais que je ne pouvais dire que j’en fusse exclusivement occupé.

« Oh ! je suis bien aise de savoir cela, parce que, voyez-vous, j’aime beaucoup qu’on me rectifie quand je me trompe. Alors, vous voulez dire que c’est un peu aride, peut-être ? — Peut-être bien, répliquai-je, est-ce un peu aride.

— Oh ! et voilà pourquoi vous avez besoin de repos, de changement, d’excitation et ainsi de suite ? dit-elle. Ah ! je vois bien ! mais n’est-ce pas un peu… hein ?… pour lui ; je ne parle pas de vous ? »

Un regard qu’elle jeta rapidement sur l’endroit où Steerforth se promenait en donnant le bras à sa mère, me montra de qui elle parlait, mais ce fut tout ce que j’en pus comprendre. Et je n’ai pas le moindre doute que ma physionomie exprimait mon embarras.

« Est-ce que… je ne dis pas que ce soit… mais je voudrais savoir… est-ce qu’il n’est pas un peu absorbé ? est-ce qu’il ne devient pas peut-être un peu plus inexact que de coutume dans ses visites à cette mère d’une tendresse aveugle… hein ? Elle accompagna ces mots d’un autre regard rapide jeté sur