Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/469

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

que je préfère. Voilà Pâquerette, d’ailleurs, qui aime la musique de toute son âme. Chantez-nous une chanson irlandaise, Rosa, et je vais m’asseoir là à vous écouter comme autrefois. »

Il ne la touchait pas, il n’avait pas la main sur la chaise qu’elle avait quittée, mais il s’assit près de la harpe. Elle se tint debout à côté, pendant un moment, en faisant de la main des mouvements comme si elle jouait, mais sans faire résonner les cordes. Enfin elle s’assit, attira sa harpe vers elle d’un mouvement rapide, et se mit à chanter en s’accompagnant.

Je ne sais si c’était le jeu ou la voix qui donnait à ce chant un caractère surnaturel, que je ne puis décrire. L’expression était déchirante de vérité. Il semblait que cette chanson n’eût jamais été écrite ou mise en musique ; elle avait l’air de jaillir plutôt de la passion contenue au fond de cette âme qui se faisait jour par une expression imparfaite dans les grondements de sa voix, puis retournait se tapir dans l’ombre quand tout rentrait dans le silence. Je restai muet, pendant qu’elle s’appuyait de nouveau sur sa harpe, faisant toujours vibrer les doigts de sa main droite, mais sans tirer aucun son.

Au bout d’une minute, voici ce qui m’arracha à ma rêverie : Steerforth avait quitté sa place et s’était approché d’elle en lui passant gaiement le bras autour de la taille.

« Allons ! Rosa, lui disait-il, à l’avenir nous nous aimerons beaucoup ! »

Sur quoi elle l’avait frappé, et, le repoussant avec la fureur d’un chat sauvage, elle s’était sauvée aussitôt de la chambre.

« Qu’est-ce qu’a donc Rosa ? dit mistress Steerforth en entrant.

— Elle a été bonne comme un ange, un tout petit moment, ma mère, dit Steerforth, et la voilà maintenant qui se rattrape en se jetant dans l’autre extrême.

— Vous devriez faire attention à ne pas l’irriter, James. Rappelez-vous que son caractère a été aigri et qu’il ne faut pas l’exciter. »

Rosa ne revint pas, et il ne fat plus question d’elle jusqu’au moment où j’entrai dans la chambre de Steerforth avec lui pour lui dire bonsoir. Alors il se mit à se moquer d’elle et me demanda si j’avais jamais rencontré une petite créature aussi violente et aussi incompréhensible.

J’exprimai mon étonnement dans toute sa force, et je lui demandai s’il devinait ce qui l’avait offensée si vivement et si brusquement.