Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/89

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— Cet animal auquel il faut prendre garde, monsieur, parce qu’il mord.

— Non, Copperfield, dit-il gravement, ce n’est pas un chien. C’est un petit garçon. J’ai pour instruction, Copperfield, de vous attacher cet écriteau derrière le dos. Je suis fâché d’avoir à commencer par là avec vous, mais il le faut. »

Il me fit descendre et m’attacha derrière le dos, comme une borne, l’écriteau bien adapté pour ce but, et partout où j’allais ensuite j’eus la consolation de le transporter avec moi.

Ce que l’eus à souffrir de cet écriteau, personne ne peut le deviner. Qu’il fût possible de me voir ou non, je me figurais toujours que quelqu’un était là à le lire ; ce n’était pas un soulagement pour moi que de me retourner et de ne voir personne, car je me flgurais toujours qu’il y avait quelqu’un derrière mon dos. La cruauté de l’homme à la jambe de bois aggravait encore mes souffrances; c’était lui qui était le mandataire de l’autorité, et toutes les fois qu’il me voyait m’appuyer le dos contre un arbre ou contre le mur, ou contre la maison, il criait de sa loge d’une voix formidable : « Hé ! Copperfield ! faites voir la pancarte, ou je vous donne une mauvaise note. » L’endroit où l’on jouait était une cour sablée, placée derrière la maison, en vue de toutes les dépendances, et je savais que les domestiques lisaient ma pancarte, que le boucher la lisait, que le boulanger la lisait, en un mot que tous ceux qui entraient ou qui sortaient le matin, tandis que je faisais ma promenade obligée, lisaient sur mon dos qu’il fallait prendre garde à moi parce que je mordais. Je me rappelle que j’avais fini positivement par avoir peur de moi comme d’une espèce d’enfant sauvage qui mordait.

Il y avait dans cette cour de récréation une vieille porte sur laquelle les élèves s’étaient amusés à sculpter leurs noms ; elle était complètement couverte de ce genre d’inscriptions. Dans ma terreur de voir arriver la fin des vacances qui ramènerait tous les élèves, je ne pouvais lire un seul de ces noms sans me demander de quel ton et avec quelle expression il lirait : « Prenez garde, il mord. » II y en avait un, un certain Steerforth qui avait gravé son nom très-souvent et très-profondément. « Celui-là, me disais-je, va lire cela de toutes ses forces et puis il me tirera les cheveux. » Il y en avait un autre nommé Tommy Traddles; je me figurais qu’il se ferait un amusement de m’approcher par mégarde, et de se reculer avec l’air d’avoir grand’peur. Quant au troisième, George Demple,