Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/9

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des ceintures de liège, mais ce qu’il y a de positif, c’est qu’on ne reçut qu’une seule proposition ; elle vint d’un courtier de commerce qui offrait cinquante francs en argent, et le reste de la somme en vin de Xérès : il ne voulait pas payer davantage l’assurance de ne jamais se noyer. On renonça donc aux annonces qu’il fallut payer, bien entendu. Quant au xérès, ma pauvre mère venait de vendre le sien, ce n’était pas pour en acheter d’autre. Dix ans après on mit ma coiffe en loterie, à une demi-couronne le billet, il y en avait cinquante, et le gagnant devait ajouter cinq shillings en sus. J’assistai au tirage de la loterie, et je me rappelle que j’étais fort ennuyé et fort humilié de voir ainsi disposer d’une portion de mon individu. La coiffe fut gagnée par une vieille dame qui tira, bien à contrecœur, de son sac les cinq shillings en gros sols, encore y manquait-il un penny ; mais ce fut en vain qu’on perdit son temps et son arithmétique à en convaincre la vieille dame. Le fait est que tout le monde vous dira dans le pays qu’elle ne s’est pas noyée, et qu’elle a eu le bonheur de mourir victorieusement dans son lit à quatre-vingt-douze ans. On m’a raconté que, jusqu’à son dernier soupir, elle s’est vantée de n’avoir jamais traversé l’eau, que sur un pont : souvent en buvant son thé (occupation qui lui plaisait fort), elle s’emportait contre l’impiété de ces marins et des ces voyageurs qui ont la présomption d’aller « vagabonder » au loin. En vain on lui représentait que sans cette coupable pratique, on manquerait de bien de petites douceurs, peut-être même de thé. Elle répliquait d’un ton toujours plus énergique et avec une confiance toujours plus entière dans la force de son raisonnement :

« Non, non, pas de vagabondage. »

Mais pour ne pas nous exposer à vagabonder nous-même, revenons à ma naissance.

Je suis né à Blunderstone, dans la comté de Suffolk ou dans ces environs-là, comme on dit. J’étais un enfant posthume. Lorsque mes yeux s’ouvrirent à la lumière de ce monde, mon père avait fermé les siens depuis plus de six mois. Il y a pour moi, même à présent, quelque chose d’étrange dans la pensée qu’il ne m’a jamais vu ; quelque chose de plus étrange encore dans le lointain souvenir qui me reste des jours de mon enfance passée non loin de la pierre blanche qui recouvrait son tombeau. Que de fois je me suis senti saisi alors d’une compassion indéfinissable pour ce pauvre tombeau couché tout seul au milieu du cimetière, par une nuit obscure, tandis qu’il