Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/126

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

vue, vous savez probablement que j’ai quelque fortune à laisser à ma fille ? »

Je répondis que je le supposais bien.

« Et vous ne pouvez pas croire qu’en présence des exemples qu’on voit ici tous les jours, dans cette Cour, de l’étrange négligence des hommes pour les arrangements testamentaires, car c’est peut-être le cas où l’on rencontre les plus étranges révélations de la légèreté humaine, vous ne pouvez pas croire que moi je n’aie pas fait mes dispositions ? »

J’inclinai la tête en signe d’assentiment.

« Je ne souffrirai pas, dit M. Spenlow en se balançant alternativement sur la pointe des pieds ou sur les talons, tandis qu’il hochait lentement la tête comme pour donner plus de poids à ses pieuses observations, je ne souffrirai pas que les dispositions que j’ai cru devoir prendre pour mon enfant soient en rien modifiées par une folie de jeunesse ; car c’est une vraie folie ; tranchons le mot, une sottise. Dans quelque temps, tout cela ne posera pas plus qu’une plume. Mais il serait possible, il se pourrait… que, si cette sottise n’était pas complètement abandonnée, je me visse obligé, dans un moment d’anxiété, à prendre mes précautions pour annuler les conséquences de quelque mariage imprudent. J’espère, monsieur Copperfield que vous ne me forcerez pas à rouvrir, même pour un quart d’heure, cette page close dans le livre de la vie, et à déranger, même pour un quart d’heure, de graves affaires réglées depuis longtemps déjà. »

Il y avait dans toute sa manière une sérénité, une tranquillité, un calme qui me touchaient profondément. Il était si paisible et si résigné, après avoir mis ordre à ses affaires, et réglé ses dispositions dernières comme un papier de musique, qu’on voyait bien qu’il ne pouvait y penser lui-même sans attendrissement. Je crois même en vérité avoir vu monter du fond de sa sensibilité, à cette pensée, quelques larmes involontaires dans ses yeux.

Mais qu’y faire ? je ne pouvais pas manquer à Dora et à mon propre cœur. Il me dit qu’il me donnait huit jours pour réfléchir. Pouvais-je répondre que je ne voulais pas y réfléchir pendant huit jours ? Mais aussi ne devais-je pas croire que toutes les semaines du monde ne changeraient rien à la violence de mon amour ?

« Vous ferez bien d’en causer avec miss Trotwood, ou avec quelque autre personne qui connaisse la vie, me dit