Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/130

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« Mort ? répétai-je.

— Il a dîné en ville hier, et il conduisait lui-même son phaéton, dit Tiffey. Il avait renvoyé son groom par la diligence, comme il faisait quelquefois, vous savez…

— Eh bien !

— Le phaéton est arrivé vide. Les chevaux se sont arrêtés à la porte de l’écurie. Le palefrenier est accouru avec une lanterne. Il n’y avait personne dans la voiture.

— Est-ce que les chevaux s’étaient emportés ?

— Ils n’avaient pas chaud, dit Tiffey en mettant ses lunettes, pas plus chaud, dit-on, qu’à l’ordinaire quand ils rentrent. Les guides étaient brisées, mais elles avaient évidemment traîné par terre. Toute la maison a été aussitôt sur pied ; trois domestiques ont parcouru la route qu’ils avaient suivie. On l’a retrouvé à un mille de la maison.

— À plus d’un mille, monsieur Tiffey, insinua un jeune employé.

— Croyez-vous ? Vous avez peut-être raison, dit Tiffey, à plus d’un mille, pas loin de l’église : il était étendu le visage contre terre ; une partie de son corps reposait sur la grande route, une autre sur la contre-allée. Personne ne sait s’il a eu une attaque qui l’a fait tomber de voiture, ou s’il en est descendu, parce qu’il se sentait indisposé ; on ne sait même pas s’il était tout à fait mort quand on l’a retrouvé : ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il était parfaitement insensible. Peut-être respirait-il encore, mais il n’a pas prononcé une seule parole. On s’est procuré des médecins aussitôt qu’on a pu, mais tout a été inutile. »

Comment dépeindre ma situation d’esprit à cette nouvelle ! Tout le monde comprend assez mon trouble, en apprenant un tel événement, et si subit, dont la victime était précisément l’homme avec lequel je venais d’avoir une discussion. Ce vide soudain qu’il laissait dans sa chambre encore occupée la veille, ou sa chaise et sa table avaient l’air de l’attendre ; ces lignes tracées par lui de sa main et laissées sur son bureau comme les dernières traces du spectre disparu ; l’impossibilité de le séparer dans notre pensée du lieu où nous étions, au point que, quand la porte s’ouvrait, on s’attendait à le voir entrer ; le silence morne et le désœuvrement de ses bureaux, l’insatiable avidité de nos gens à en parler et celle des gens du dehors qui ne faisaient qu’entrer et sortir toute la journée pour se gorger de quelques détails nouveaux : quel