et connaissant, comme nous le faisons, notre humble condition, nous sommes obligés de veiller à ce que ceux qui ne sont pas humbles comme nous, ne nous marchent pas sur le pied. En amour, tous les stratagèmes sont de bonne guerre, monsieur. »
Et se frottant doucement le menton de ses deux grandes mains, il fit entendre un petit grognement. Je n’avais jamais vu une créature humaine qui ressemblât autant à un mauvais babouin.
« C’est que, voyez-vous, dit-il, tout en continuant de se caresser ainsi le visage et en hochant la tête, vous êtes un bien dangereux rival, maître Copperfield, et vous l’avez toujours été, convenez-en !
— Quoi ! c’est à cause de moi que vous montez la garde autour de miss Wickfield, et que vous lui ôtez toute liberté dans sa propre maison ? lui dis-je.
— Oh ! maître Copperfield ! voilà des paroles bien dures, répliqua-t-il.
— Vous pouvez prendre mes paroles comme bon vous semble ; mais vous savez aussi bien que moi ce que je veux vous dire, Uriah.
— Oh non ! il faut que vous me l’expliquiez, dit-il ; je ne vous comprends pas.
— Supposez-vous, lui dis-je, en m’efforçant, à cause d’Agnès, de rester calme ; supposez-vous que miss Wickfield soit pour moi autre chose qu’une sœur tendrement aimée ?
— Ma foi ! Copperfield, je ne suis pas forcé de répondre à cette question. Peut-être que oui, peut-être que non. »
Je n’ai jamais rien vu de comparable à l’ignoble expression de ce visage, à ces yeux chauves, sans l’ombre d’un cil.
« Alors venez ! lui dis-je ; pour l’amour de miss Wickfield…
— Mon Agnès ! s’écria-t-il, avec un tortillement anguleux plus que dégoûtant. Soyez assez bon pour l’appeler Agnès, maître Copperfield !
— Pour l’amour d’Agnès Wickfield… que Dieu bénisse !
— Je vous remercie de ce souhait, maître Copperfield !
— Je vais vous dire ce que, dans toute autre circonstance, j’aurais autant songé à dire à… Jacques Retch.
— À qui, monsieur ? dit Uriah, tendant le cou, et abritant son oreille de sa main, pour mieux entendre.
— Au bourreau, repris-je ; c’est-à-dire à la dernière personne à qui l’on dût penser. Et pourtant il faut être franc,