pour circuler, je ne sais pas bien comment on les appelle ; il voulait même me donner de l’argent, mais heureusement je n’en avais pas besoin. Je le remerciai de tout mon cœur pour son obligeance. « J’ai déjà écrit des lettres pour vous recommander à votre arrivée, me dit-il, et je parlerai de vous à des personnes qui prennent le même chemin. Cela fait que, quand vous voyagerez tout seul, loin d’ici, vous vous trouverez en pays de connaissance. » Je lui exprimai de mon mieux ma gratitude, et je me remis en route à travers la France.
— Tout seul, et à pied ? lui dis-je.
— En grande partie à pied, répondit-il, et quelquefois dans des charrettes qui se rendaient au marché, quelquefois dans des voitures qui s’en retournaient à vide. Je faisais bien des milles à pied dans une journée, souvent avec des soldats ou d’autres pauvres diables qui allaient revoir leurs amis. Nous ne pouvions pas nous parler ; mais, c’est égal, nous nous tenions toujours compagnie tout le long de la route, dans la poussière du chemin. »
Comment en effet, cette voix si bonne et si affectueuse ne lui aurait-elle pas fait trouver des amis partout ?
« Quand j’arrivais dans une ville, continua-t-il, je me rendais à l’auberge, et j’attendais dans la cour qu’il passât quelqu’un qui sût l’anglais (ce n’était pas rare). Alors je leur racontais que je voyageais pour chercher ma nièce, et je me faisais dire quelle espèce de voyageurs il y avait dans la maison ; puis j’attendais pour voir si elle ne serait pas parmi ceux qui entraient ou qui sortaient. Quand je voyais qu’Émilie n’y était pas, je repartais. Petit à petit, en arrivant dans de nouveaux villages, je m’apercevais qu’on leur avait parlé de moi. Les paysans me priaient d’entrer chez eux, ils me faisaient manger et boire, et me donnaient la couchée. J’ai vu plus d’une femme, maître David, qui avait une fille de l’âge d’Émilie, venir m’attendre à la sortie du village, au pied de la croix de notre Sauveur, pour me faire toute sorte d’amitiés. Il y en avait dont les filles étaient mortes. Dieu seul sait comme ces mères-là étaient bonnes pour moi. »
C’était Martha qui était à la porte. Je voyais distinctement à présent son visage hagard, avide de nous entendre. Tout ce que je craignais, c’était qu’il ne tournât la tête, et qu’il ne l’aperçût.
« Et bien souvent, dit M. Peggotty, elles mettaient leurs enfants, surtout leurs petites filles, sur mes genoux et bien souvent vous auriez pu me voir assis devant leurs portes, le soir,