Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/223

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pas de couteaux pour les huîtres ; d’ailleurs nous n’aurions pas su nous en servir ; nous regardâmes donc les huîtres, et nous mangeâmes le mouton : du moins nous mangeâmes tout ce qui était cuit, en l’assaisonnant avec des câpres. Si je le lui avais permis, je crois que Traddles, passant à l’état sauvage, se serait volontiers fait cannibale, et nourri de viande presque crue, pour exprimer combien il était satisfait du repas ; mais j’étais décidé à ne pas lui permettre de s’immoler ainsi sur l’autel de l’amitié, et nous eûmes au lieu de cela un morceau de lard ; fort heureusement il y avait du lard froid dans le garde-manger.

Ma pauvre petite femme était tellement désolée à la pensée que je serais contrarié, et sa joie fut si vive quand elle vit qu’il n’en était rien, que j’oubliai bien vite mon ennui d’un moment. La soirée se passa à merveille ; Dora était assise près de moi, son bras appuyé sur mon fauteuil, tandis que Traddles et moi nous discutions sur la qualité de mon vin, et à chaque instant elle se penchait vers mon oreille pour me remercier de n’avoir pas été grognon et méchant. Ensuite elle nous fit du thé, et j’étais si ravi de la voir à l’œuvre, comme si elle faisait la dînette de sa poupée, que je ne fis pas le difflcile sur la qualité douteuse du breuvage. Ensuite, Traddles et moi, nous jouâmes un moment aux cartes, tandis que Dora chantait en s’accompagnent sur la guitare) et il me semblait que notre mariage n’était qu’un beau rêve et que j’en étais encore à la première soirée où j’avais prêté l’oreille à sa douce voix.

Quand Traddles fut parti, je l’accompagnai jusqu’à la porte puis je rentrai dans le salon ; ma femme vint mettre sa chaise tout prés de la mienne.

« Je suis si fâchée dit-elle. Voulez-vous m’enseigner un peu à faire quelque chose, David ?

— Mais d’abord il faudrait que j’apprisse moi-même, Dora, lui dis-je. Je n’en sais pas plus long que vous, ma petite.

— Oh ! mais vous, vous pouvez apprendre, reprit-elle, vous avez tant d’esprit !

— Quelle folie, ma petite chatte !

— J’aurais dû, reprit-elle après un long silence, j’aurais dû aller m’établir à la campagne, et passer un an avec Agnès ! »

Ses mains jointes étaient placées sur mon épaule, elle y reposait sa tête, et me regardait doucement de ses grands yeux bleus.

« Pourquoi donc ? demandai-je.