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Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/247

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poursuivant mon chemin, j’évoquais sans le vouloir les ombres de mes souvenirs d’enfance, des rêves plus récents, des espérances vagues, des chagrins trop réels et trop profonds ; il y avait dans mon âme un mélange de réalité et d’imagination qui, se confondant avec le plan du sujet dont je venais d’occuper mon esprit, donnait à mes idées un tour singulièrement romanesque. Je méditais donc tristement en marchant, quand une voix tout près de moi me fit soudainement tressaillir.

De plus, c’était une voix de femme, et je reconnus bientôt la petite servante de mistress Steerforth, celle qui jadis portait un bonnet à rubans bleus. Elle les avait ôtés, probablement pour mieux s’accommoder à l’apparence lamentable de la maison, et n’avait plus qu’un ou deux nœuds désolés d’un brun modeste.

« Voulez-vous avoir la bonté, monsieur, de venir parler à miss Dartle ?

— Miss Dartle me fait-elle demander ?

— Non, monsieur, pas ce soir, mais c’est tout de même. Miss Dartle vous a vu passer il y a un jour ou deux, et elle m’a dit de m’asseoir sur l’escalier pour travailler, et de vous prier de venir lui parler, la première fois que je vous verrais passer. »

Je la suivis, et je lui demandai, en chemin, comment allait mistress Steerforth ; elle me répondit qu’elle était toujours souffrante, et sortait peu de sa chambre.

Lorsque nous arrivâmes à la maison, on me conduisit dans le jardin, où se trouvait miss Dartle. Je m’avançai seul vers elle. Elle était assise sur un banc, au bout d’une espèce de terrasse, d’où l’on apercevait Londres. La soirée était sombre, une lueur rougeâtre éclairait seule l’horizon, et la grande ville qu’on entrevoyait dans le lointain, à l’aide de cette clarté sinistre, me semblait une compagnie appropriée au souvenir de cette femme ardente et fière.

Elle me vit approcher, et se leva pour me recevoir. Je la trouvai plus pâle et plus maigre encore qu’à notre dernière entrevue ; ses yeux étaient plus étincelants, sa cicatrice plus visible.

Nous nous saluâmes froidement. La dernière fois que je l’avais vue, nous nous étions quittés après une scène assez violente, et il y avait, dans toute sa personne, un air de dédain qu’elle ne se donnait pas la peine de dissimuler.