Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/251

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ce qu’on peut en dire. Une bûche, un caillou, auraient montré plus de reconnaissance, plus de cœur, plus de patience, plus de raison. Si je n’avais pas été sur mes gardes je suis convaincu qu’elle aurait attenté à ma vie.

— Je l’en estime davantage » dis-je avec indignation.

M. Littimer pencha la tête comme pour dire : « Vraiment, monsieur vous êtes si jeune ! » Puis il reprit son récit.

« En un mot, on fut obligé pendant quelque temps de ne pas lui laisser sons la main tous les objets avec lesquels elle aurait pu se faire mal ou faire mal aux autres, et de la tenir enfermée. Mais, malgré tout, elle sortit une nuit, brisa les volets d’une croisée que j’avais moi-même fermée avec des clous, se laissa glisser le long d’une vigne, et jamais, que je sache, on n’a plus entendu reparler d’elle.

— Elle est peut-être morte ! dit miss Dartle avec un sourire, comme si elle eût voulu pousser du pied le cadavre de la malheureuse fille.

— Elle s’est peut-être noyée, mademoiselle, reprit M. Littimer, trop heureux de pouvoir s’adresser à quelqu’un. C’est très-possible. Ou bien, elle a peut-être reçu quelque assistance des bateliers ou de leurs femmes. Elle aimait beaucoup la mauvaise compagnie, miss Dartle, et elle allait s’asseoir près de leurs bateaux, sur la plage, pour causer avec eux. Je l’ai vue faire ça des jours entiers, quand M. James était absent. Et un jour M. James a été très-mécontent d’apprendre qu’elle avait dit aux enfants, qu’elle aussi était la fille d’un batelier, et que jadis, dans son pays, elle courait comme eux sur la plage. »

Oh, Émilie ! pauvre fille ! Quel tableau se présenta à mon imagination ! Je la voyais assise sur le lointain rivage, au milieu d’enfants qui lui rappelaient les jours de son innocence, écoutant ces petites voix qui lui parlaient d’amour maternel, des pures et douces joies qu’elle aurait connues, si elle était devenue la femme d’un honnête matelot ou bien prêtant l’oreille à la voix solennelle de l’Océan, qui murmure éternellement : « Plus jamais ! »

« Quand il a été évident qu’il n’y avait plus rien à faire, miss Dartle…

— Ne vous ai-je pas dit de ne pas me parler ? répondit-elle avec une dureté méprisante.

— C’est que vous m’aviez parlé, mademoiselle, répondit-il. Je vous demande pardon ; je sais bien que mon devoir est d’obéir.