Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/264

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de lui avoir jamais fait le moindre tort. Dès la première nuit de cet hiver je me serais rendu justice, si je ne m’étais pas sentie innocente de ce qu’elle a fait.

— On ne sait que trop bien la cause de sa fuite, lui dis-je. Nous croyons, nous sommes sûrs que vous en êtes, en effet, entièrement innocente.

— Oh ! si je n’avais pas eu un si mauvais cœur, reprit la pauvre fille avec un regret navrant, j’aurais dû changer par ses conseils : elle était si bonne pour moi ! Jamais elle ne m’a parlé qu’avec sagesse et douceur. Comment est-il possible de croire que j’eusse envie de la rendre semblable à moi, me connaissant comme je me connais ? Moi qui ai perdu tout ce qui pouvait m’attacher à la vie, moi dont le plus grand chagrin a été de penser que, par ma conduite, j’étais séparée d’elle pour toujours ! »

M. Peggotty se tenait les yeux baissés, et, la main droite appuyée sur le rebord d’une barque, il porta l’autre devant son visage.

« Et quand j’ai appris de quelqu’un du pays ce qui était arrivé, s’écria Marthe, ma plus grande angoisse a été de me dire qu’on se souviendrait que jadis elle avait été bonne pour moi, et qu’on dirait que je l’avais pervertie. Oh ! Dieu sait, bien au contraire, que j’aurais donné ma vie pour lui rendre plutôt son honneur et sa bonne renommée ! »

Et la pauvre fille, peu habituée à se contraindre, s’abandonnait à toute l’agonie de sa douleur et de ses remords.

« J’aurais donné ma vie ! non, j’aurais fait plus encore, s’écria-t-elle, j’aurais vécu j’aurais vécu vieille et abandonnée, dans ces rues si misérables ! j’aurais erré dans les ténèbres ! j’aurais vu le jour se lever sur ces murailles blanchies, je me serais souvenue que jadis ce même soleil brillait dans ma chambre et me réveillait jeune et… Oui, j’aurais fait cela, pour la sauver ! »

Elle se laissa retomber au milieu des pierres, et, les saisissant à deux mains dans son angoisse, elle semblait vouloir les broyer. À chaque instant elle changeait de posture : tantôt elle roidissait ses bras amaigris ; tantôt elle les tordait devant sa tête pour échapper au peu de jour dont elle avait honte ; tantôt elle penchait son front vers la terre comme s’il était trop lourd pour elle, sous le poids de tant de douloureux souvenirs.

« Que voulez-vous que je devienne ? dit-elle enfin, luttant avec son désespoir. Comment pourrai-je continuer à vivre ainsi,