Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/267

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et je le lui racontai tout au long. Elle écoutait avec une grande attention, en changeant souvent de visage mais dans toutes ses diverses expressions on lisait le même dessein. Parfois ses yeux se remplissaient de larmes, mais elle les réprimait à l’instant. Il semblait que son exaltation passée eût fait place à un calme profond.

Quand j’eus cessé de parler, elle demanda où elle pourrait venir nous chercher, si l’occasion s’en présentait. Un faible réverbère éclairait la route, j’écrivis nos deux adresses sur une feuille de mon agenda, je la lui remis, elle la cacha dans son sein. Je lui demandai où elle demeurait. Après un moment de silence, elle me dit qu’elle n’habitait pas longtemps le même endroit ; mieux valait peut-être ne pas le savoir.

M. Peggotty me suggéra, à voix basse, une pensée qui déjà m’était venue ; je tirai ma bourse, mais il me fut impossible de lui persuader d’accepter de l’argent, ni d’obtenir d’elle la promesse qu’elle y consentirait plus tard. Je lui représentai que, pour un homme de sa condition, M. Peggotty n’était pas pauvre, et que nous ne pouvions nous résoudre à la voir entreprendre une pareille tâche à l’aide de ses seules ressources. Elle fut inébranlable. M. Peggotty n’eut pas, auprès d’elle, plus de succès que moi ; elle le remercia avec reconnaissance, mais sans changer de résolution.

« Je trouverai de l’ouvrage, dit-elle, j’essayerai.

— Acceptez au moins, en attendant, notre assistance, lui disais-je.

— Je ne peux pas faire pour de l’argent ce que je vous ai promis, répondit-elle ; lors même que je mourrais de faim, je ne pourrais l’accepter. Me donner de l’argent, ce serait me retirer votre confiance, m’enlever le but auquel je veux tendre, me priver de la seule chose au monde qui puisse m’empêcher de me jeter dans cette rivière.

— Au nom du grand Juge devant lequel nous paraîtrons tous un jour, bannissez cette terrible idée. Nous pouvons tous faire du bien en ce monde, si nous le voulons seulement. »

Elle tremblait, son visage était plus pâle, lorsqu’elle répondit :

« Peut-être avez-vous reçu d’en haut la mission de sauver une misérable créature. Je n’ose le croire, je ne mérite pas cette grâce. Si je parvenais à faire un peu de bien, je pourrais commencer à espérer ; mais jusqu’ici ma conduite n’a été que mauvaise. Pour la première fois, depuis bien longtemps, je