Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/293

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

de me dire que, si je ne touchais pas le traitement attaché aux fonctions que je remplis auprès de lui, je ne serait probablement qu’un malheureux saltimbanque, et que je parcourrais les campagnes, faisant métier d’avaler des lames de sabre ou de dévorer des flammes. Et il n’est que trop probable, en effet, que mes enfants seront réduits à gagner leur vie, à faire des contorsions, des tours de force, tandis que mistress Micawber jouera de l’orgue de Barbarie pour accompagner ses malheureuses créatures dans leurs atroces exercices. »

M. Micawber brandit alors son couteau d’un air distrait, mais expressif, comme s’il voulait dire que, heureusement, il ne serait plus là pour voir ça ; puis il se remit à peler ses citrons d’un air navré.

Ma tante le regardait attentivement, le coude appuyé sur son petit guéridon. Malgré ma répugnance à obtenir de lui par surprise les confidences qu’il ne paraissait pas disposé à nous faire, j’allais profiter de l’occasion pour le faire parler ; mais il n’y avait pas moyen : il était trop occupé à mettre l’écorce de citron dans la bouilloire, le sucre dans les mouchettes, l’esprit-de-vin dans la carafe vide, à prendre le chandelier pour en verser de l’eau bouillante, enfin à une foule de procédés les plus étranges. Je voyais que nous touchions à une crise : cela ne tarda pas. Il repoussa loin de lui tous ses matériaux et ses ustensiles, se leva brusquement, tira son mouchoir et fondit en larmes.

« Mon cher Copperfield, me dit-il, tout en s’essuyant les yeux, cette occupation demande plus que toute autre du calme et le respect de soi-même. Je ne suis pas capable de m’en charger. C’est une chose indubitable.

— Monsieur Micawber, lui dis-je, qu’est-ce que vous avez donc ? Parlez, je vous en prie, il n’y a ici que des amis.

— Des amis ! monsieur, répéta M. Micawber ; et le secret qu’il avait contenu jusque-là à grand’peine lui échappa tout à coup ! Grand Dieu, c’est précisément parce que je suis entouré d’amis que vous me voyez dans cet état. Ce que j’ai et ce qu’il y a, messieurs ? Demandez-moi plutôt ce que je n’ai pas. Il y a de la méchanceté, il y a de la bassesse, il y a de la déception, de la fraude, des complots et le nom de cette masse d’atrocités, c’est… Heep ! »

Ma tante frappa des mains, et nous tressaillîmes tous comme des possédés.

« Non, non, plus de combat, plus de lutte avec moi-même, dit