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Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/300

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Pendant un instant il régna un profond silence. Marthe continuait de tenir une main sur mes lèvres et levait l’autre en se penchant pour écouter.

« Peu m’importe qu’elle ne soit pas ici, dit Rosa Dartle avec hauteur. Je ne la connais pas. C’est vous que je viens voir.

— Moi ? répondit une douce voix. »

Au son de cette voix, mon cœur tressaillit. C’était la voix d’Émilie.

« Oui, répondit miss Dartle, je suis venue pour vous regarder. Comment, vous n’avez pas honte de ce visage qui a fait tant de mal ? »

La haine impitoyable et résolue qui animait sa voix, la froide amertume et la rage contenue de son ton me la rendaient aussi présente que si elle avait été vis-à-vis de moi. Je voyais, sans les voir, ces yeux noirs qui lançaient des éclairs, ce visage défiguré par la colère ; je voyais la cicatrice blanchâtre au travers de ses lèvres trembler et frémir, tandis qu’elle parlait.

« Je suis venue voir, dit-elle, celle qui a tourné la tête à James Steerforth ; la fille qui s’est sauvée avec lui et qui fait jaser tout le monde dans sa ville natale ; l’audacieuse, la rusée, la perfide maîtresse d’un individu comme James Steerforth. Je veux savoir à quoi ressemble une pareille créature ! »

On entendit du bruit, comme si la malheureuse femme qu’elle accablait de ses insultes eût tenté de s’échapper. Miss Dartle lui barra le passage. Puis elle reprit, les dents serrées et en frappant du pied :

« Restez là ! ou je vous démasque devant tous les habitants de cette maison et de cette rue ! Si vous cherchez à me fuir, je vous arrête, dusse-je vous prendre par les cheveux et soulever contre vous les pierres mêmes de la muraille. »

Un murmure d’effroi fut la seule réponse qui arriva jusqu’à moi ; puis il y eut un moment de silence. Je ne savais que faire. Je désirais ardemment mettre un terme à cette entrevue, mais je n’avais pas le droit de me présenter ; c’était à M. Peggotty seul qu’il appartenait de la voir et de la réclamer. Quand donc arriverait-il ?

« Ainsi, dit Rosa Dartle avec un rire de mépris, je la vois enfin ! Je n’aurais jamais cm qu’il se laissât prendre à cette fausse modestie et à ces airs penchés !

— Oh, pour l’amour du ciel, épargnez-moi ! s’écriait Émilie. Qui que vous soyez, vous savez ma triste histoire ; pour l’amour