ne pouvais m’empêcher de partager ; quant à ma tante, elle pleurait de tout son cœur. Cela fit du bien à mon Émilie, et elle commençai se remettre. Mais elle avait oublié le langage du pays et elle en était réduite à parler par signes. Peu à peu, cependant, elle se mit à rapprendre le nom des choses usuelles, comme si elle ne l’avait jamais su ; mais un soir qu’elle était à sa fenêtre, à voir jouer une petite fille sur la grève, l’enfant lui tendit la main en disant : « Fille de pêcheur, voilà une coquille ! » Il faut que vous sachiez que dans les commencements on l’appelait « ma jolie dame », comme c’est la coutume du pays, et qu’elle leur avait appris à l’appeler « Fille de pêcheur. » Tout à coup, l’enfant s’écria « Fille de pécheur, voilà une coquille ! » Émilie l’avait comprise, elle lui répond en fondant en larmes ; depuis ce jour, elle a retrouvé la langue du pays !
« Quand Émilie a eu un peu repris ses forces, dit M. Peggotty après un court moment de silence, elle s’est décidée à quitter cette excellente jeune créature et à retourner dans son pays. Le mari était revenu au logis, et ils la menèrent tous deux à Livourne, où elle s’embarqua sur un petit bâtiment de commerce, qui devait la ramener en France. Elle avait un peu d’argent, mais ils ne voulurent rien accepter en retour de tout ce qu’ils avaient fait pour elle. Je crois que j’en suis bien aise, quoiqu’ils fussent si pauvres ! Ce qu’ils ont fait est en dépôt là où les vers ni la rouille ne peuvent rien ronger, et où les larrons n’ont rien à prendre. Maître Davy, ce trésor-là vaut mieux que tous les trésors du monde.
« Émilie arriva en France, et elle se plaça dans un hôtel, pour servir les dames en voyage. Mais voilà qu’un jour arrive ce serpent. Qu’il ne m’approche jamais ; je ne sais pas ce que je lui ferais ! Dès qu’elle l’aperçut (il ne l’avait pas vue), son ancienne terreur lui revint, et elle fuit loin de cet homme. Elle vint en Angleterre, et débarqua à Douvres.
« Je ne sais pas bien, dit M. Peggotty, quand est-ce que le courage commença à lui manquer ; mais tout le long du chemin, elle avait pensé à venir nous retrouver. Dès qu’elle fut en Angleterre, elle tourna ses pas vers son ancienne demeure. Mais soit qu’elle craignît qu’on ne lui pardonnât pas, et qu’on ne la montrât partout au doigt ; soit qu’elle eut peur que quelqu’un de nous ne fût mort, elle ne put pas aller plus loin.
« Mon oncle, mon oncle m’a-t-elle dit, ce que je redoutais le plus au monde, c’était de ne pas me sentir digne d’accomplir