Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/348

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Jamais je n’oublierai comment, en un instant, il devint l’homme des espérances les plus folles, et se vit emporté déjà sur la roue de la fortune, ni comment mistress Micawber se mit à discourir à l’instant sur les mœurs du kangourou ? Jamais je ne pourrai penser à cette rue de Canterbury, un jour de marché, sans me rappeler en même temps de quel air délibéré il marchait à nos côtés ; il avait déjà pris les manières rudes, insouciantes et voyageuses d’un colon lointain ; il fallait le voir examiner en passant les bêtes à cornes, de l’œil exercé d’un fermier d’Australie.


Il faut que je fasse encore ici une pause. Ô ! ma femme-enfant, je revois devant moi, sereine et calme, au milieu de la foule mobile qui agite ma mémoire, une figure qui me dit, avec son innocente tendresse et sa naïve beauté : « Arrêtez-vous pour songer à moi ; retournez-vous pour jeter un regard sur la petite fleur qui va tomber et se flétrir ! »

Je m’arrête. Tout le reste pâlit et s’efface à mes yeux. Je me retrouve avec Dora, dans notre petite maison. Je ne sais pas depuis combien de temps elle est malade, j’ai une si longue habitude de la plaindre, que je ne compte plus le temps. Il n’est pas bien long peut-être à le détailler par mois et par jours mais pour moi qui en souffre comme elle à tous les moments de la journée, Dieu ! qu’il paraît long et pénible !

On ne me dit plus : « Il faut encore quelques jours. » Je commence à craindre en secret de ne plus voir le jour où ma femme-enfant reprendra sa course au soleil avec Jip, son vieux camarade.

Chose singulière ! il a vieilli presque subitement ; peut-être ne trouve-t-il plus, auprès de sa maîtresse, cette gaieté qui le rendait plus jeune et plus gaillard ; il se traîne lentement, il voit à peine, il n’a plus de force, et ma tante regrette le temps où il aboyait à son approche, an lieu de ramper comme il le fait à présent, jusqu’à elle, sans quitter le lit de Dora