Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/36

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là, sans bruit, au moment où nous passions, et s’adressant à moi :

« Vous avez eu une belle idée, dit-elle, d’amener cet homme ! »

Je n’aurais pas cru qu’on pût concentrer, même sur ce visage, une expression de rage et de mépris comme celle qui obscurcissait ses traits et qui jaillissait de ses yeux noirs. La cicatrice du marteau était, comme toujours dans de pareils accès de colère, fortement accusée. Le tremblement nerveux que j’y avais déjà remarqué l’agitait encore, et elle y porta la main pour le contenir, en voyant que je la regardais.

« Vous avez bien choisi votre homme pour l’amener ici et lui servir de champion, n’est-ce pas ? Quel ami fidèle !

— Miss Dartle, répliquai-je, vous n’êtes certainement pas assez injuste pour que ce soit moi que vous condamniez en ce moment ?

— Pourquoi venez-vous jeter la division entre ces deux créatures insensées, répliqua-t-elle ; ne voyez-vous pas qu’ils sont fous tous les deux d’entêtement et d’orgueil ?

— Est-ce ma faute ? repartis-je.

— C’est votre faute ! répliqua-t-elle. Pourquoi amenez-vous cet homme ici ?

— C’est un homme auquel on a fait bien du mal, miss Dartle, répondis-je ; vous ne le savez peut-être pas.

— Je sais que James Steerforth, dit-elle en pressant la main sur son sein comme pour empêcher d’éclater l’orage qui y régnait, a un cœur perfide et corrompu ; je sais que c’est un traître. Mais qu’ai-je besoin de m’inquiéter de savoir ce qui regarde cet homme et sa misérable nièce ?

— Miss Dartle, répliquai-je, vous envenimez la plaie : elle n’est déjà que trop profonde. Je vous répète seulement, en vous quittant, que vous lui faites grand tort.

— Je ne lui fais aucun tort, répliqua-t-elle : ce sont autant de misérables sans honneur, et, pour elle je voudrais qu’on lui donnât le fouet. »

M. Peggotty passa sans dire un mot et sortit.

« Oh ! c’est honteux miss Dartle, c’est honteux, lui dis-je avec indignation. Comment pouvez-vous avoir le cœur de fouler aux pieds un homme accablé par une affliction si peu méritée ?

— Je voudrais les fouler tous aux pieds, répliqua-t-elle. Je voudrais voir sa maison détruite de fond en comble ; je voudrais qu’on marquât la nièce au visage avec un fer rouge,