On me repoussa doucement, on me pria de m’écarter ; puisqu’il voulait y aller, à tort ou à raison ; je ne ferais, par ma présence, que compromettre les mesures de sûreté qu’il y avait à prendre, en troublant ceux qui en étaient chargés. Dans la confusion de mes sentiments et de mes idées, je ne sais ce que je répondis ou ce qu’on me répondit, mais je vis qu’on courait sur la grève ; on détacha les cordes d’un cabestan, plusieurs groupes s’interposèrent entre lui et moi. Bientôt seulement je le revis debout, seul, en costume de matelot, une corde à la main, enroulée autour du poignet, une autre à la ceinture, pendant que les plus vigoureux se saisissaient de celle qu’il venait de leur jeter à ses pieds.
Le navire allait se briser ; il n’y avait pas besoin d’être du métier pour s’en apercevoir. Je vis qu’il allait se fendre par le milieu, et que la vie de cet homme, abandonné au haut du mât, ne tenait plus qu’à un fil ; pourtant il y restait fermement attaché. Il avait un béret de forme singulière, d’un rouge plus éclatant que celui des marins ; et, tandis que les faibles planches qui le séparaient de la mort roulaient et craquaient sous ses pieds, tandis que la cloche sonnait d’avance son chant de mort, il nous saluait en agitant son bonnet. Je le vis, en ce moment, et je crus que j’allais devenir fou, en retrouvant dans ce geste le vieux souvenir d’un ami jadis bien cher.
Ham regardait la mer, debout et immobile, avec le silence d’une foule sans haleine derrière lui, et devant lui la tempête, attendant qu’une vague énorme se retirât pour l’emporter. Alors il fit un signe à ceux qui tenaient la corde attachée à sa ceinture, puis s’élança au milieu des flots, et en un moment il commençait contre eux la lutte, s’élevant avec leurs collines, retombant au fond de leurs vallées perdu sous des monceaux d’écume, puis rejeté sur la grève. On se dépêcha de le retirer.
Il était blessé. Je vis d’où j’étais du sang sur son visage, mais lui, il ne sembla pas s’en apercevoir. Il eut l’air de leur donner à la hâte quelques instructions pour qu’on le laissât plus libre, autant que je pus en juger par un mouvement de son bras, puis il s’élança de nouveau.
Il s’avança vers le navire naufragé, luttant contre les flots, s’élevant avec leurs collines, retombant au fond de leurs vallées, perdu sous les monceaux d’écume, repoussé vers le rivage, puis ramené vers le vaisseau, hardiment et vaillamment. La distance n’était rien, mais la force du vent et de la